Shalom Laurent Gloaguen

Je voudrais m’exprimer ici suite à la lecture d’un texte anti-humaniste, désabusé, d’un appel à la mort, d’une négation de tout ce pourquoi je me suis battue toute une vie, publié par un blogueur.

Un texte, qui fait l’apologie de l’extermination de l’humanité envisagée comme une bonne Nouvelle…

Vous pouvez lire le texte en question sur LePost.fr : âmes sensibles s’abstenir !

Shalom, Laurent Gloaguen !

Par le passé, Laurent Gloaguen, vous êtes venu attaquer ma famille, mon association. J’en ai souffert, mais je n’ai pas bougé. Pourquoi ? Par humanité ! Je voulais comprendre : pourquoi tant de haine ? Je n’avais jamais entendu parler de vous auparavant… J’ai donc lu votre blog. Je l’ai parcouru, en long, en large et en travers. Eh bien non, je ne comprends pas. Non pas votre ressentiment vis-à-vis de vous-même, mais le soutien dont vous bénéficiez au sein de la blogosphère dite «influente». Aujourd’hui , ce soutien indéfectible continue… À une ou deux exceptions près (révolte légitime !), aucun blog ne parle de votre texte sur la Shoah…

Vous avez attaqué une première fois, et je n’ai pas répondu (non que cela m’ait été facile, loin s’en faut), mais là je ne peux ni veux me taire. J’ai attendu qu’une réponse vienne de la blogosphère, un sursaut de lucidité, non pas pour vous accabler mais pour vous faire réfléchir, vous responsabiliser et clamer ouvertement l’évidence : plus jamais ça !

J’ai attendu jusqu’à ce soir, mais manifestement le silence régne dans la blogosphère. On fait comme si de rien n’était, comme si la ligne rouge n’avait pas été franchie, comme-ci…

Alors, je vous réponds. Non pas en tant que blogueuse inconnue, ni en tant que personnalité influente que je ne suis pas, ni même en tant que présidente des Humains Associés, mais au nom de l’humain, au nom de l’Espérance, au Nom de tous les miens !

Shalom, Salam, Paix, Laurent Gloaguen,

Et paix sur la terre aux hommes et femmes de bonne volonté,

Dans l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu des hommes qui ont fait preuve d’une profonde humanité et qui nous ont donné à tous une immense leçon de courage. Des êtres qui ne jugent jamais. Ils n’ont pas passé leur vie à se lamenter, mais à la célébrer, dans le meilleur autant que dans le pire !
Et c’est grâce à ces êtres-là que l’espoir est toujours là !

Au plus profond de la longue nuit de brouillard et de désolation, ils ont porté et protégé dans leur main tremblante et glacée la si fragile et si tenue flamme de l’espérance. Jamais, au grand jamais, ils n’ont désespéré du genre humain : la nuit la plus longue, si effrayante soit-elle, à une fin lumineuse ! Telle était leur croyance, tel est mon héritage, notre héritage !

Une certitude demeure : nous sommes capables du pire, mais nous portons au plus profond la dignité humaine, l’étincelle du meilleur, et ce meilleur s’appelle l’humain, tout simplement l’humain !

L’humain prêt à sacrifier sa vie pour que le meilleur advienne, l’humain qui arrose le désert de ses larmes et fait le pari qu’un jour, ce même désert refleurira, forcément.

L’humain, semeur d’amour, passeur d’amour, et qui depuis toujours a refusé d’abdiquer sa certitude du meilleur dans un monde qui affirme le pire, qui n’a jamais abdiqué sa certitude de bienveillance dans un monde où règne la loi de la malveillance et du plus fort.

L’humain inconsolable de sa nature prédatrice, l’humain qui se bat à chaque souffle pour justement ne pas tomber dans la négation de soi !

L’humain qui, parce qu’il a souffert tous les malheurs du monde, souhaite, aspire, se bat et rêve, pour que d’autres ne subissent pas le même sort !

Ils sont là parmi nous, ils ont toujours existé, car sans, il n’y aurait plus aucune vie sur cette Terre !

Sans eux, justement, la Shoah aurait était une œuvre parfaite et universelle !

Ils existent, et je les ai rencontrés ! Ils sont de toutes les couleurs, de toutes les croyances et incroyances, ils sont discrets, humbles et effacés. Ils ne cherchent pas la lumière, ils sont la Lumière !

L’absence de preuves n’est pas une preuve d’absence, et il est faux de croire que seuls l’horreur et le sadisme, seule la négation de soi et de son semblable, seule l’insoutenable haine de soi et du Monde, celle qui souhaite que l’abomination de la désolation soit amplifiée pour embrasser l’humanité dans son ensemble, bref, que seul l’inhumain règne sur cette terre !

NON ! Malgré l’apparente vacuité de notre civilisation, malgré le règne de l’archétype désaxé et malade, malgré la certitude logique que rien ne va plus, l’humanité n’a pas dit son dernier mot !

Il existe une réalité plus vaste que ce monde agité d’ombres errantes et malveillantes, désespérées d’elles-mêmes. Une réalité d’amour, de solidarité, de bienveillance. Discrète, secrète, silencieuse, elle vit au cœur des hommes et des femmes, elle brille dans l’intimité des foyers humains, elle console, nourrit l’espérance, veille sur le meilleur de nous-mêmes. Humble, elle ne s’affiche pas, elle ne fait pas de bruit, car elle ne se plaint pas, elle murmure des chants de tendresse, elle veille fraternellement, elle partage le peu qu’elle a… Elle bénit, sans même s’en rendre compte, elle porte en elle le meilleur de nous-mêmes…
On l’appelle l’Humanité, tout simplement !

Alors, il ne faut pas croire que parce que l’inhumain s’affiche, l’humain serait absent !

Je suis consciente que dans le monde désabusé de la négation de soi, dans ce monde d’apparences, rien que d’apparences, dans ce monde des systèmes clos – où comme dans la caverne de Platon, chaque un trouve sa logique parfaitement satisfaisante pour expliquer tout ce qu’il vit –, dire ce que je dis est impardonnable.

Je m’attends aux foudres des gardiens du Temple de la Transgression, des revenus de tout, des désespérés triomphants qui ont tout simplement abdiqué d’eux-mêmes. Mais Je N’ai Pas Peur !!!!!

Vous avez institué la loi de la Terreur, la Loi du Silence où chaque-un se protège car il sait que s’il parle, il sera la prochaine victime… Alors il se tait ou, dans le meilleur des cas, fait savoir son soutien en cachette…

NON ! Je n’ai pas peur, car je sais l’Amour, je sais l’Humanité ! Et je sais que le meilleur de nous-mêmes est à venir, et que le pire est derrière nous…

Vive la Vie ! Vive l’Humain !

Humainement,

tatiana f. salomon

1988 / 2008… Et si on parlait d’Amour ?

Almitra dit, Parle-nous de l’Amour.

Et il leva la tête et regarda le peuple assemblé, et le calme s’étendit sur eux. Et d’une voix forte il dit :

Quand l’amour vous fait signe, suivez le.

Bien que ses voies soient dures et rudes.

Et quand ses ailes vous enveloppent, cédez-lui.

Bien que la lame cachée parmi ses plumes puisse vous blesser.

Et quand il vous parle, croyez en lui.

Bien que sa voix puisse briser vos rêves comme le vent du nord dévaste vos jardins.

Car de même que l’amour vous couronne, il doit vous crucifier.

De même qu’il vous fait croître, il vous élague.

De même qu’il s’élève à votre hauteur et caresse vos branches les plus délicates qui frémissent au soleil,

Ainsi il descendra jusqu’à vos racines et secouera leur emprise à la terre.

Comme des gerbes de blé, il vous rassemble en lui.

Il vous bat pour vous mettre à nu.

Il vous tamise pour vous libérer de votre écorce.

Il vous broie jusqu’à la blancheur.

Il vous pétrit jusqu’à vous rendre souple.

Et alors il vous expose à son feu sacré, afin que vous puissiez devenir le pain sacré du festin sacré de Dieu.

Toutes ces choses, l’amour l’accomplira sur vous afin que vous puissiez connaître les secrets de votre cœur, et par cette connaissance devenir une parcelle du cœur de la Vie.

Mais si, dans votre appréhension, vous ne cherchez que la paix de l’amour et le plaisir de l’amour.

Alors il vaut mieux couvrir votre nudité et quitter le champ où l’amour vous moissonne,

Pour le monde sans saisons où vous rirez, mais point de tous vos rires, et vous pleurerez, mais point de toutes vos larmes.

L’amour ne donne que de lui-même, et ne prend que de lui-même.

L’amour ne possède pas, ni ne veut être possédé.

Car l’amour suffit à l’amour.

Quand vous aimez, vous ne devriez pas dire, « Dieu est dans mon cœur », mais plutôt, « Je suis dans le cœur de Dieu ».

Et ne pensez pas que vous pouvez infléchir le cours de l’amour car l’amour, s’il vous en trouve digne, dirige votre cours.

L’amour n’a d’autre désir que de s’accomplir.

Mais si vous aimez et que vos besoins doivent avoir des désirs, qu’ils soient ainsi :

Fondre et couler comme le ruisseau qui chante sa mélodie à la nuit.

Connaître la douleur de trop de tendresse.

Etre blessé par votre propre compréhension de l’amour ;

Et en saigner volontiers et dans la joie.

Se réveiller à l’aube avec un cœur prêt à s’envoler et rendre grâce pour une nouvelle journée d’amour ;

Se reposer au milieu du jour et méditer sur l’extase de l’amour ;

Retourner en sa demeure au crépuscule avec gratitude ;

Et alors s’endormir avec une prière pour le bien-aimé dans votre cœur et un chant de louanges sur vos lèvres.

Le Prophète – Khalil Gibran

1988/2008
Première campagne d’affichage interactive des Humains Associés
Cette campagne gratuite invitait à s’exprimer sur un thème universel : « Et si on parlait d’amour… »
© photo Natacha Quester Séméon

Bonne année 2008, chers humains (un temps pour rire et un temps pour danser)

Bonne Année 2008 !
Malgré l’apparente brièveté de la vie, la succession des jours nous apprend que tout est possible, car la Vie a en Elle un temps pour tout…
Je vous souhaite pour cette nouvelle année 2008 de trouver l’équilibre entre les differents modalités du temps, et ainsi de rentrer dans le temps où toute chose est bonne et belle, car en accord avec son temps !
t.
Qohéleth*
Il y a un temps pour tout et un moment pour toute chose sous le soleil.
Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir, un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant,
un temps pour tuer et un temps pour soigner les blessures, un temps pour démolir et un temps pour construire.
Il y a aussi un temps pour pleurer et
un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser,
un temps pour jeter des pierres et un temps pour en ramasser, un temps pour embrasser et un temps pour s’en abstenir.
Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre, un temps pour conserver et un temps pour jeter,
un temps pour déchirer et un temps pour recoudre, un temps pour garder le silence et un temps pour parler,
un temps pour aimer et un temps pour haïr, un temps pour la guerre et un temps pour la paix.
*nom hébreu signifiant « celui qui rassemble »

Hommage à Lucius Annaeus Seneca dit Sénèque

Sénèque ou quelques certitudes dans une époque de doute…

La plus grand obstacle de la vie est l’attente, qui espère demain et néglige aujourd’hui.

De la brièveté de la vie
(extrait )

Pourquoi nous plaindre de la nature? Elle nous a bien traités: la vie est longue si on sait en user. Mais l’un est prisonnier d’une insatiable avidité, l’autre absorbé par une application laborieuse à d’inutiles travaux; l’un est gorgé de vin, l’autre abruti par l’indolence; l’un est miné par une ambition toujours suspendue au jugement d’autrui, l’autre entraîné par la passion du commerce sur terre et sur mer dans l’espoir de s’enrichir. Il y a ceux que tourmente une folie belliqueuse, incapables de ne pas s’inquiéter des périls que courent les autres ou eux-mêmes; ceux qu’un triste esprit courtisan consume dans une servitude volontaire. Beaucoup sont captifs d’une aspiration à posséder la beauté d’autrui ou du soin de la leur. La plupart ne recherchent rien de précis, et une légèreté vagabonde, inconstante, vite lassée, les jette sans cesse vers de nouveaux desseins; ils ne savent où diriger leur course et le destin les surprend inactifs et bâillants. C’est au point que je n’hésite pas à prendre à mon compte cette phrase prononcée comme un oracle par le plus grand des poètes: «La partie de la vie que nous vivons est courte.» Tout le reste n’est pas de la vie, c’est du temps.

Les vices pressent, encerclent de toutes parts, ils interdisent de se redresser ou de lever les yeux pour distinguer le vrai. Ils engloutissent, submergent dans la passion, jamais on ne peut revenir à soi. Si parfois on trouve quelque tranquillité, comme au large où demeure, même la tempête passée, un peu d’agitation, on flotte et jamais on ne trouve de loisir à l’égard de ses passions.

Crois-tu que je dise tout cela des gens qui avouent leurs maux? Regarde ceux qui font accourir les autres par l’image de bonheur qu’ils donnent: ils sont étouffés par leurs biens. Que leurs richesses sont pesantes à certains! A combien d’autres leur éloquence et le besoin de faire chaque jour parade de leur profondeur d’esprit ne font-ils pas cracher le sang! Combien s’étiolent dans de continuelles voluptés! A combien une foule de clients qui les harcèlent ne laisse-t-elle aucun répit! Bref, examine-les tous du haut en bas: celui-ci réclame justice, celui-là l’assiste, un tel est accusé, tel autre défenseur, personne ne revendique d’être laissé en paix avec soi-même, nous nous consumons les uns les autres. Informe-toi de ceux dont on apprend à connaître les noms, et tu verras qu’on les reconnaît à ceci: celui-ci est sous la sujétion d’un tel, celui-là d’un autre; personne ne s’appartient.

Puisqu’il en est ainsi, qu’y a-t-il de plus insensé que l’indignation de certaines gens? Ils se plaignent de la morgue de leurs supérieurs qui n’ont pas le temps de leur accorder une audience; on ose se plaindre de l’orgueil de l’autre quand on n’a jamais de loisir pour soi-même! Pourtant, cet autre, qui que tu sois, t’a peut-être regardé parfois d’un air insolent, mais il t’a regardé, il a prêté l’oreille à tes paroles, il t’a admis à ses côtés: toi, tu n’as jamais daigné te regarder ni t’écouter toi-même. Tu n’as donc pas à te faire gloire des devoirs rendus à quiconque; si tu les as rendus, ce n’était pas parce que tu voulais être avec un autre, c’était parce que tu ne pouvais être avec toi.

Les plus grands génies ont beau tomber d’accord sur l’aveuglement de la nature humaine, ils ne s’en étonneront jamais assez. On ne laisse personne empiéter sur ses domaines; au moindre désaccord au sujet de leurs limites on court se saisir d’armes et de pierres, mais on laisse les autres empiéter sur sa vie; bien mieux, on fait entrer soi-même ceux qui vont en devenir les accapareurs. On ne trouvera personne qui veuille partager son argent, mais entre combien de gens chacun distribue-t-il sa vie? On est circonspect quand on veut préserver son patrimoine, et en même temps, s’il s’agit de jeter au vent son temps, le seul bien dont il serait honorable d’être avare, quelle prodigalité! Il serait donc juste de prendre à partie quelqu’un dans la foule des vieillards et de lui dire: «Nous te voyons arrivé à l’extrême limite de la vie, tu portes sur tes épaules cent ans ou davantage. Allons, reviens en arrière, fais le compte de ton existence. Calcule combien de temps t’ont pris créanciers, maîtresses, rois ou clients, querelles conjugales; combien le châtiment des esclaves, les allées et venues à travers la ville pour des mondanités; ajoute les maladies que l’on s’invente, ajoute encore le temps inemployé: tu verras que tu as moins d’années que tu n’en comptes. Rappelle-toi les occasions où tu t’en es tenu à ta décision, quel jour s’est passé comme tu l’avais résolu, quand tu as disposé de toi-même, quand ton visage est resté impassible, ton âme intrépide, ce que tu as accompli au cours d’une si longue existence, combien de gens ont dilapidé ta vie sans que tu t’aperçoives de ce que tu perdais, tout ce que t’ont soustrait vaines douleurs, sottes allégresses, avide cupidité, flatteries du bavardage, et vois combien il te reste peu de ce qui t’a appartenu: tu comprendras que tu meurs avant d’avoir atteint la maturité.»

Quelle en est la raison? Vous vivez comme si vous étiez destinés à vivre toujours, jamais vous ne prenez conscience de votre fragilité, vous ne faites pas attention à tout ce temps déjà passé. Vous dissipez comme si vous aviez des ressources inépuisables, alors que peut-être ce jour que vous consacrez à tel homme ou à telle occupation est le dernier. Habités par toutes les craintes propres à un mortel, vous avez en même temps tous les désirs d’un immortel. Tu entendras la plupart des gens déclarer: «A cinquante ans je m’éloignerai des affaires, à soixante je me démettrai de toutes mes fonctions.» Et qui t’a garanti que ta vie durera au-delà de cela? Qui admettra que le sort s’accorde à tes plans? N’as-tu pas honte de te réserver le reste de ta vie et de destiner aux progrès de ton âme le temps seulement où tu ne seras plus bon à autre chose? N’est-ce pas bien tard de commencer à vivre au moment où il faut cesser? Comme la nature humaine est sottement insouciante lorsqu’elle repousse à cinquante ou soixante ans les saines résolutions et prétend commencer à vivre à un âge auquel peu sont parvenus! […]

Tu te demandes peut-être ce que j’appelle les gens absorbés? Ne crois pas que je désigne par ce terme uniquement ceux qu’on ne peut faire sortir de la basilique qu’en lâchant les chiens ou qui se laissent écraser fièrement par la foule de leurs clients ou misérablement parmi ceux des autres, ni ceux que leurs obligations arrachent de leur maison et qui vont se presser à la porte d’autrui, ni ceux chez qui la lance du prêteur excite la convoitise d’un profit infâme qui un jour ou l’autre se putréfiera. Il est des gens que leurs loisirs mêmes absorbent: dans leur villa ou sur leur lit, en pleine solitude, même s’ils ont pris leurs distances par rapport au monde entier, ils sont importuns à eux-mêmes: dans ce cas, leur vie n’est pas une retraite, mais une absorption désœuvrée. Parleras-tu de retraite pour celui qui range minutieusement des vases de Corinthe, rendus précieux par la manie de quelques-uns, et consume la plus grande partie de ses jours au milieu de fragments rouillés? Pour celui qui dans la palestre s’assied pour regarder des enfants batailler (car, hélas! nous pratiquons des vices qui ne sont même pas romains!)? Qui apparie ses chevaux selon l’âge et la couleur? Qui entretient les athlètes nouvellement découverts? Eh quoi! diras-tu qu’ils sont retirés du monde, ceux qui passent de longues heures chez le coiffeur, pour y faire couper ce qui a pu pousser la nuit précédente – et l’on délibère sur chaque cheveu, on remet en ordre ce qui ne l’est plus dans la coiffure, on ramène ici et là sur le front les mèches déplacées! Quelle fureur alors si le coiffeur a été un peu négligent: comme s’il les avait tondus! Et de s’emporter si l’on a coupé quelque chose en trop de leur crinière, si quelque chose n’est pas exactement comme il faudrait, si tout ne retombe pas en boucles parfaites! En est-il un qui ne préférerait le désordre de l’Etat à celui de sa chevelure? Qui ne soit plus soucieux de sa belle apparence que du salut de sa tête? Qui n’aime pas mieux être bien coiffé que plus vertueux? Diras-tu qu’ils mettent à profit leur loisir, ceux qui passent leur temps entre le peigne et le miroir? Et que dire de ceux qui s’évertuent à composer, entendre, apprendre des chansons, et tourmentent leur voix – dont la nature a fait le ton juste, excellent, tout simple – en la forçant à des inflexions et des modulations langoureuses? Ceux qui font claquer leurs doigts en rythmant sans cesse quelque romance qu’ils ont en tête, et qui, lorsqu’on les appelle pour des affaires sérieuses, souvent tristes même, chantonnent tout bas?

Ceux-là n’ont pas de loisirs, mais des occupations oiseuses. Et, ma foi, je ne mettrais pas leurs banquets au nombre des heures de loisir, quand je vois avec quelle minutie ils disposent l’argenterie, avec quel soin ils attachent les tuniques de leurs mignons, quelle attention ils portent au sanglier qui sort des mains du cuisinier, et la célérité avec laquelle les serviteurs imberbes, à leur signal, courent à leurs emplois, et quand je vois, encore, l’art déployé à découper les volailles en morceaux bien égaux, la diligence des malheureux domestiques à essuyer les crachats des convives pris de boisson. Voilà comment s’acquiert la réputation d’élégance et de magnificence, et leurs maux les suivent si assidûment dans les moindres recoins de leur vie qu’ils ne peuvent ni boire ni manger sans qu’y entre l’ambition.

Ne mets pas non plus au nombre des hommes qui mettent à profit leur loisir ceux qui se font porter ici ou là en chaise ou en litière et se présentent aux heures fixées pour leurs promenades, comme s’il ne leur était pas permis d’y manquer, et qu’un autre prévient au moment de prendre leur bain, de nager, de dîner: la langueur a tellement dissolu ces esprits amollis qu’ils ne sont même plus capables de savoir eux-mêmes s’ils ont faim. J’ai entendu dire qu’un de ces délicats (si l’on peut appeler délicatesse l’oubli de la vie et des sains instincts humains), alors qu’on le transportait hors de son bain jusqu’à sa chaise, interrogeait ses gens: «Suis-je assis maintenant?» Crois-tu que cet homme qui ignore s’il est assis sache s’il vit, s’il voit, s’il jouit d’un loisir?

J’hésite à dire s’il est plus à plaindre en l’ignorant qu’en feignant de l’ignorer. Ces gens oublient certes bien des choses, mais ils font aussi semblant d’en oublier d’autres! Ils se délectent de certains vices comme s’ils étaient des preuves de bonheur: on a l’air trop obscur, l’air d’un homme de rien, si l’on sait bien ce qu’on fait. Va donc croire, après cela, que les mimes exagèrent lorsqu’ils critiquent les vices comme le luxe. Ils en oublient, ma foi, plus qu’ils n’en inventent, et le nombre des vices inimaginables s’est tellement accru en ce siècle, dont l’inventivité s’est bornée à cela, que nous pourrions reprocher aux mimes de passer sur trop de choses! Songer que quelqu’un s’est tellement amolli dans les plaisirs qu’il en vient à demander à un autre s’il est assis! Cet homme ne jouit pas d’un loisir – trouvons un autre terme: il est malade, ou, pour mieux dire, il est mort. L’homme de loisir est celui qui a conscience de son loisir. Mais ce mort vivant qui a besoin qu’on lui indique la position de son corps, comment pourrait-il être maître d’aucun instant de sa vie?

Il serait trop long de passer en revue, un par un, ceux dont la vie s’est consumée à jouer aux échecs ou à la paume, ou à se faire dorer au soleil. Ils ne profitent pas d’un loisir, ceux dont les plaisirs sont la grande affaire. Quant à ceux qui sont plongés dans d’inutiles travaux d’érudition, nul ne mettra en doute qu’ils se donnent bien de la peine pour rien; et ils sont légion à présent chez les Romains. Ce fut jadis une maladie de Grecs que de se demander combien Ulysse avait de rameurs, si c’est L’Iliade ou L’Odyssée qui a été écrite en premier, ensuite si elles sont du même auteur, ou autres sottises du même genre que tu peux garder pour toi sans que ta conscience s’en trouve mieux, ou publier sans paraître plus docte, mais seulement plus ennuyeux. Voici que les Romains sont gagnés à leur tour par cet inepte désir de connaissances superflues.

La vie heureuse, Editions Arléa 1989
Tableau: Sénèque par Juste de Gand © Louvre

Cinq choses que vous ne savez pas de moi

Pour commencer l’année, un peu d’esprit ludique dans un monde trop sérieux. Voici un petit jeu social proposé par Natacha QS, à laquelle je ne sais pas dire non.

Je suis un tout petit enfant
Je pense en musique
J’aime les « idiots » plutôt que les intelligents
Je ne suis pas snob
Suis écologiste mais… pas Verte

Je « tagge » à mon tour : Etienne Parizot, Mry, Seekoeur, Gilles Klein, Sylvain Attal.