Viens dans l’Ouvert, ami !

Gay Savoir.
Fol vagabondage.

Bras ballants, bouche bée, interdite d’admiration…
Stupéfaction radicale.
Bonheur suprême, suprême sagesse,
Rien, rien, rien,
Enfin…

Rejetée la peau, cette chose qu’on appelle ‘Moi’.
Ô vide infini !
Face à face, vide et vacuité !

Moi ? Rien qu’un masque…

Il fallait bien porter un masque.

Mais quelle mascarade, in fine !

Viens dans l’Ouvert, ami !

Le vent balaie les nuages, les yeux en font autant…

Il y a voir et voir…
Voir en survolant, en balayant, d’un coup oeil, plus ou moins discret et flou, confusément… et voir attentivement, d’un regard perçant, percevoir, en-visager de l’intérieur ce qu’un paysage, un visage, dévoile.

S’appliquer à voir, regarder afin de voir autrement, voir clairement, profondément, non plus la seule apparence, mais l’intention, l’essentiel, qui est invisible aux yeux mais in-scrit dans l’Ouvert !

Le véritable Voir est celui qui scrute les profondeurs de l’Être et des choses, et ainsi perçoit l’Intention.

Il y a donc un Voir confus qui survole, qui balaie d’un coup de vent et chasse la chose vue… et un Regard attentif, conscient, qui scrute, creuse, plonge au plus profond à la recherche de l’intention, de l’essentiel.

Viens dans l’Ouvert, ami !

t.

© René Magritte, Faux miroir, Moma

Terra di Siena

La toscane par Sacha Quester-Séméon

Émouvante impression de cheminer à l’intérieur même d’un tableau, comme si en chaque paysan se trouvait un peintre qui aurait composé chaque détail de son champ sur un mode poétique. Œuvre d’art que le tracé de cette route qui zigzague à flanc de colline ! Œuvre d’art encore la disposition des cyprès qui la bordent et qui, un peu plus loin, se serrent les uns contre les autres tels d’anciens amants, et dont on se demande qui, de l’homme ou de la nature, les a si magnifiquement ciselés.

Terres intimes peuplées de paysans inspirés, héritiers d’une Renaissance italienne qui inventa la perspective et l’humanisme, privilégia la semplicità d’un pur espace et sut à merveille être au service des couleurs et de la lumière.

Et quelle lumière !

Lumière dorée, d’une infinie tendreté qui caresse la terre blonde et brune des champs et enveloppe amoureusement cette campagne toscane que l’on dit la plus humaine au monde.

C’est avec une infinie tendresse et une inclinaison profonde que je retrouve cette terre miraculeuse et ses couleurs variant au gré des saisons (vert tendre du printemps, chaumes dorés de l’été, rouges et bruns de l’automne, gris luisant de l’hiver) où ne cessent d’avoir lieu les noces parfaites de la nature et de la culture, de l’âme et de l’esprit !

Miracle d’une nature recueillie, discrète et cultivée, qui déploie sous nos yeux réenchantés l’un des plus beaux paysages du monde !

Firenze, Pienza, Siena… que des prières exaucées !

t.

Photo : © Sacha Quester-Séméon aka Justin Biziou

Vagabondages

On me nomme « Personne ». Qu’est-ce que cela signifie d’être quelqu’un ?

Ce n’est pas tout de vouloir retourner chez soi, encore faut-il savoir ce qu’être chez soi signifie.

Puisque habiter la terre, c’est y vivre en passant, le vagabond pose sa maison partout où l’on veut bien de lui.

Il est facile d’être tout le monde à la fois, de ruser avec son apparence, de mentir sur son identité. Il est facile aussi de n’être personne et de « s’effacer ». Mais être véritablement soi, s’assumer pleinement, voilà la difficulté !

Grandiose solitude.

Le mot « hôte » désigne celui qui reçoit autant que celui qui est reçu.
Solitaire, tu seras visité.

Le Doute.

Le doute philosophique n’est ni la méfiance, ni le soupçon, ni la critique destructrice : il est questionnement et approfondissement.

Lever le voile.

il me faut guérir de moi-même pour retrouver la terre et la maison d’où je suis originaire.

Imagination créatrice.

Se trouver sans pays, sans maison, sans ami, aveugle et sans mémoire, c’est souffrir de leur absence, dans la nostagie de l’amour, de la béauté, du retour, et c’est chercher à les regagner en imagination, n’avoir d’autre issue qui leur donner de l’être, leur donner l’être dont on s’était privé jusqu’alors.

Comprendre quoi ?

Que les possessions de toutes sortes ne sont rien. Que la possession ne suffit pas à posséder une identité. La terre, les maisons, les coutumes, les religions et les noms sont interchangeables. Ils se (con)fondent tous dans le vent des sables.

Habiter n’est pas s’attacher à des choses, mais prendre la mesure du monde et de la condition humaine et faire en sorte que le monde soit plus humain. Plus beau et plus bon.

Habiter, c’est Être !

Être.

Être n’est pas vivre dans le monde. Être, c’est être du monde et pas du monde à la fois.

Être, c’est soutenir le monde (et ses habitants). Être, c’est faire en sorte que le monde soit !

Être est Celui qui a fait des Deux Un.

Seule, l’Être Est!

Soutien.

Entre la tension et le détachement, le filet invisible, tendre et lumineux, qui empêche le funambule de tomber.

Il n’y a pas dans l’espace visible et invisible, un seul atome, qui ne contienne la solidarité, la compassion, l’Amour !

Appel.

Tout aspire à la métamorphose. Toute notre nature nous appelle (sourtout les parties les plus « basses » et le plus « méprisables »). Chaque élément nous appelle au secours pour que nous l’arrachions à la pesanteur.

Toute chose cherche à devenir de plus en plus gracile, de plus en plus lumineuse et ainsi atteindre l’état le plus transparent de l’Être !

La poésie.

La poésie, c’est le culte rendu par l’homme à la Lumière !

La poésie, c’est de la lumière en parole. C’est le Verbe incarné.

La Lumière.

La lumière est à la fois l’Appel et la réponse de l’Être à l’Être !

Entendre cet Appel, c’est y répondre « Me Voici ! ».

La lumière monte vers la lumière, la lumière descend vers la lumière.

Fin des vagabondages…

t.

Si tu pleures, ne cache pas ton visage,
mélange-le aux étoiles.


Photo – Les Temps Modernes de Charlie Chaplin (1936).
« Charlot quitte la civilisation déshumanisée de l’industrie et du travail à la chaîne. S’il reste pauvre, il n’est du moins plus seul.
Il quitte son passé d’esclave pour une vie d’homme libre » (source).

Hommage à l’homme qui a donné Platon à l’Occident

Marsilio Ficino (1422-1499)

L’homme est cet oiseau qui croit ramper parce qu’il voit son ombre glisser à la surface du monde.

Né en 1433 à Figline in Valdarno, fils d’un médecin renommé. Il suit son père à Florence lorsque celui-ci va exercer à l’hôpital Santa Maria Nuova, et se destine lui-même à la médecine, mais ses études lui font découvrir la philosophie, vers laquelle l’humaniste C. Landino le pousse également vers 1456. Protégé par Pierozzi (archevêque de Florence) puis par Cosme de Médicis à partir de 1459, il se consacre à la traduction. Il traduit d’abord, en 1463, le Poimandres et d’autres textes du corpus hermétique. A la mort de Cosme (1464) il passe sous la protection de Pierre, puis de Laurent le Magnifique (à partir de 1469). Ce dernier lui donne les moyens de fonder à Carregio l’Académie Platonicienne. En 1473 il est ordonné prêtre. En 1474 il publie le De Christiana Religione, puis en 1482 la Theologia Platonica, deux textes qui tentent la concordance du néoplatonisme et du christianisme. En 1484 il publie son oeuvre maîtresse : la traduction de la totalité des Dialogues de Platon. Il achève en 1486 celle des Ennéades de Plotin, qui ne sera publiée qu’en 1492. Entre 1492 et 1494 Laurent de Médicis, puis Politien, puis Pic meurent. Ficin lui-même meurt en 1499, après avoir traversé l’époque savonarolienne (il a composé une Apologie très dure contre Savonarole).*

Tout en étant consciente que c’est un autre temps, un autre lieu et d’autres hommes, je suis d’accord avec Ficino pour dire que la pensée platonicienne est, encore aujourd’hui, l’une des rares pensées à pouvoir rassembler les esprits épris des vérités latentes dans les traditions humaines.

Les humanistes sont depuis fort longtemps les porte-parole de la liberté de croyance et d’opinion, œuvrant sans cesse pour un monde tolérant, solidaire et fraternel. Pour les humanistes florentins, l’homme est un lieu de passage » où se comprend et se concrétise le secret qui lie la Création au Créateur, le « secret de Dieu. Ficino dit que si le monde est un, la vérité est une : tous ceux qui la cherchent, même par des voies qu’on estime impraticables, philosophes et savants de toute obédience, hommes de toute religion, juifs, chrétiens, musulmans, cherchent la même chose, ont quelque chose en commun, qu’il faut dénicher et protéger. Orienter nos efforts vers la rennaissance de cet humanisme, épris de culture et du goût des autres, voilà une bien belle œuvre, un beau projet de Vie ! Si l’homme est bien ce lieu de passage, alors comme disent les soufis, le service de l’homme est bel et bien le service de Dieu ; et si nous nous acquittons de notre tâche envers les hommes, nous exécutons la volonté divine.

D’après Ficino, ce qui permet à l’âme de mettre en oeuvre sa fonction médiatrice d’unification du cosmos, c’est l’amour qu’il décrira aussi dans son Commentaire sur le Banquet de Platon.
Peu importe dès lors vers Qui va notre croyance. Le Nom importe peu, car au fond chacun cherche exactement la même chose : l’Amour !

Il me semble que s’engager dans des voies contraires à l’humanisme, c’est se condamner sans remède à une pensée sectaire, certainement dogmatique et sans issue.

t.

Murmure de sable

– Tu dois laisser le vent t’emporter à ta destinarion.
– Mais comment est-ce possible ?
– En te laissant absorber par le vent.
*

J’aime à penser que je suis vide et vaste.
J’aime à penser que je suis air et vent.
J’aime à penser que je suis le paysage traversé par l’air et le vent.
J’aime à penser que je ne suis personne.

Mais surtout, j’aime ne pas penser mais… Être.
Être, simplement Être ! Là.

t.

*Le Conte des Sables, in Contes Derviches, Idries Shah, Courrier du Livre, Paris.
Photo: Desert de Gobi