Lorsque nous nous sommes rencontrés, nous marchions vers l’Orient. Loin, très loin du Loup et des Steppes…Seule à seul nous chevauchions le vent ensemble, là où « le faiseur de pluie » se plaisait à nous envelopper de rosée. Transpercés d’éclairs étincelants de beauté auntant que de doutes, nous cheminions sur les routes de la connaissance. Nous étions et sommes toujours d’accord pour dire que : « Analyser le monde, l’expliquer, le mépriser, cela peut être l’affaire des grands penseurs. Mais pour nous une seule chose importe, c’est de pouvoir l’aimer, de ne pas le mépriser, de ne le point haïr tout en ne nous haïssant pas nous-mêmes, de pouvoir unir dans notre amour, dans notre admiration et dans notre respect, tous les êtres de la terre sans nous en exclure. »
Nous avons joué au « Jeu des Perles de Verre », et une fois encore nous nous sommes accordés sur le fait que « l’enjeu de l’éveil, c’était non la vérité et la connaissance, mais la réalité, le fait de la vivre et de l’affronter », et que dès lors « on ne découvrait pas des lois, mais des décisions, on ne pénétrait pas dans le coeur du monde, mais dans le coeur de sa propre personne ». Non, nous n’étions pas des savants et nous ne le sommes pas plus aujourd’hui… Nous savions que « l’art suprême consistait en ceci : se laisser aller, consentir à sa propre chute », car entre deux souffles il y a la grande respiration, où « chaque vie est une expiration du souffle divin, chaque mort une inspiration ». Nous savions aussi que « celui qui sait se plier à ce rythme et qui ne refuse pas sa propre disparition, celui-là n’éprouve aucune peine à mourir ni à naître : l’angoisse n’est réservée qu’à la créature qui se débat ! » « Chacun de nous n’est rien de plus qu’humain, rien de plus qu’un essai, une étape. »
Pèlerins d’Orient, il nous coûtait de n’être pas encore nés…
Vagabonds des étoiles, nous marchions dans la vallée, au bord du fleuve nous nous sommes arrêtés… Tu t’en souviens, tu t’es soudainement exclamé : « je suis passé par ici avec Sidartha ». « Et comment était-il ? », t’avais-je répondu. « Satisfait », m’as-tu dit.
« Satisfait, il contemplait l’eau du fleuve qui coulait et jamais il n’y avait pris tant de plaisir. Jamais il n’avait discerné d’une façon si agréable et si claire la voix et l’enseignement de cette eau fuyante. Il crut comprendre que le fleuve avait quelque chose de particulier à lui dire, quelque chose qu’il ignorait encore et qui l’attendait. Le sentiment qu’il éprouvait pour lui, c’était à la fois de l’amour, du charme, de la gratitude. Dans son coeur, il écoutait parler la voix qui s’était réveillée et qui lui disait : « Aime-les, ces eaux. Demeure auprès d’elles. Apprends par elles ! ». Oui, il apprendrait par elles, il devinerait leurs secrets, il acquerrait le don de comprendre les choses, toutes les choses, et de pénétrer dans leur mystère. »
Ensuite, tu es resté un long moment silencieux et tu as fini par dire que : « cette expérience de la vie ne fait pas partie des objectifs du langage, car elle n’est pas communicable, elle est et reste. » La sagesse qu’un sage cherche à communiquer a toujours un air de folie », as-tu dit avant de te taire. Oui, avant de te taire…
Aujourd’hui, au coeur de l’automne, je sais que « le ciel, comme le voit le prêtre, ça n’existe pas. Le ciel est bien plus beau, bien plus beau. » Et qu' »en vérité, il n’y a de jeunes et de vieux que parmi les hommes moyens. Les êtres qui possèdent des dons et se différencient des autres sont tantôt jeunes, tantôt vieux, comme ils sont tantôt joyeux, tantôt tristes. Le seul attribut réservé aux plus vieux est le pouvoir de manier avec plus de liberté, d’aisance, d’expérience, de bonté, la faculté d’aimer. »
Tu sais, tu as bien raison : « Le bonheur, ce n’est pas d’être aimé. Chaque être humain a de l’amour pour lui-même, et pourtant, ils sont des milliers à vivre une existence de damné. Non, être aimé ne donne pas le bonheur. Mais aimer, ça, c’est le bonheur ! » Mais de tout cela et davantage nous reparlerons (toi et moi) de l’autre côté du rideau de rosée translucide et dorée où tu te trouves.
Tu sais, j’accepte comme toi, avec grâce, la vieillesse. Elle est à la fois grave, radieuse et juvénile ! Et si je ne fais pas encore « L’Éloge de la vieillesse », ça viendra en temps voulu. Sachez aussi, très, très cher ami, que non seulement j’ai appris à rire, mais j’ai aussi cessé de me prendre au sérieux !
Siddhârta.
Le Jeu des perles de verre
Le Voyage en Orient
Le Loup Des Steppes
Narcisse et Goldmund
Éloge de la Vieillesse…
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Wikipédia : Hermann_Hesse
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