Île Verte, monde imaginal, Terre de l’âme

Île Verte ou… Jérusalem Céleste ?

C’est quand l’imagination devient principe de réalité et d’événement que l’âme prend son envol et atteint les rives d’un monde imaginal, situé entre sensible et intelligible, entre spiritualité et corporalité. Ce monde est celui de notre âme et sa matière est essentiellement spirituelle, c’est-à-dire une substance toute lumineuse, une pure luminescence en réalité ! Et comme le dit si bien notre ami Henri Corbin, c’est un monde « extérieur » et qui pourtant n’est pas le monde physique, un monde qui nous apprend que l’on peut sortir de l’espace sensible sans sortir pourtant de l’étendue ». Un monde où l’impossible s’accomplit en fait, où l’esprit prend corps, ou, mieux, où l’esprit se corporalise et le corps se spiritualise ! Un monde tellement autre qu’il ne peut être vu, ni perçu que par l’intelligence du coeur, par l’oeil du coeur… L’Île Verte est située à l’extrême nord céleste de ce monde : c’est un « paradis hyperboréen » , où séjournent aussi bien le Simorgh et le Phénix, la Colombe d’or, la licorne et les anges éperdus d’amour ! Pour aborder cette terre où tous nos voeux s’accomplissent, il faut, comme nous y invite l’Ami, redevenir « comme » des petits enfants, faute de quoi l’abordage reste impossible ! Il y a tant à dire sur cette « Terre Céleste » que le dire devient une quasi impossibilité, un « trop dire » en vérité ! Monde suprasensible, au-delà de la gamme des sons et de la portée de la lumière visible, il n’existe pas de mots pour le décrire. Je vous donne en gage d’amitié une piste : écoutez attentivement la plainte de la flûte du roseau et suivez le son de la fondamentale qu’elle émet. Arrivés à l’extrême nord géographique, prenez le chemin de l’étoile polaire en vous abandonnant dans les bras du vent : vous y arriverez certainement car le vent connaît le chemin ! Si tel est le désir de votre coeur…

t.

 La plainte de la flûte de roseau
Écoute la flûte de roseau et sa plainte, comme elle chante la séparation : on m’a coupée de la jonchaie, et dès lors ma lamentation fait gémir l’homme et la femme. J’appelle un coeur que déchire la séparation pour lui révéler la douleur du désir. Tout être qui demeure loin de sa source aspire au temps où il lui sera uni.
Feu et non vent, tel est le son de la flûte.

Périsse qui n’a point cette flamme…

Rûmi, traduction Eva de Vitrey-Meyerovitch (extrait)

Lire : Terre Céleste et corps de ressurection, Henri Corbin, Buchet/Castel, 1960

8 réflexions sur “Île Verte, monde imaginal, Terre de l’âme

  1. Salut à toi femme aux semelles de vent
    le chant de la flutte, l’île verte, tous ceci a un air de
    paradis…
    tendresse

  2. Terre de l’Âme
    Lame de fond irresistible
    et au fond des yeux, qui regardent émerveillés de Beauté, d’étoiles, de lucioles et d’arbres qui fleurent bon et beau, apparaît l’enchantement.
    Cyprès sentinelles, à la verticale, veillent sur l’île endormie.
    Le temps passe si discretement ici qu’on ne s’en aperçoit pas.
    Oui, cette île accueille tendrement ceux et celles qui s’y posent et y reposent leur âme.

    Merci du cadeau

  3. REPONS

    Des fleurs et des herbes émanait une lumière, brume d’or paisible,
    Les insectes tissaient des spirales émanées de ces cœurs flamboyants,
    Au travers, les trilles aiguës des ailés lançaient des flèches lumineuses,
    Les fils du monde jouaient, dansaient, étaient en triomphante joie…

    Je marchais derrière le guide, amoureux ébloui, captivé,
    Ainsi mon respir lui aussi participait à cette prière fervente ?
    Brûlante nostalgie comme nous avancions en chemin de terre nue.
    Ainsi assiégés, pris dans l’ardence fraîche de ce feu, nous suivions nous ?

    O que n’est-il donné aux yeux pâles de toujours contempler cette lumière ?
    O que n’est-il déchiré même par l’instant ce voile gris et lourd
    Les maintenant inharmoniques égarés concentrés sur l’ancien,
    Que ne leur est-il donné cet instant infini où la honte vient à l’homme.

    Voir avec quel empressement, offrantes les fleurs rendent hommage,
    Voir l’entrain, le travail bourdonnant de ce chant qui lui crée le partage,
    Voir les ailés ravir les notes les plus justes pour les mener plus haut,
    Voir enfin l’élan, l’actuel priant, brume d’or gardienne du jardin…

    Ce n’est pas un « ailleurs », tout est là dès ce monde dans l’orientation du coeur vers l’Unité des choses et des êtres.
    C’est très simple et très compliqué à la fois : « aller toujours tout droit », nous ne savons le faire, laissons-nous donc mener aux élans de lumières, nous saurons alors ce qui est juste.

  4. L’étoile Polaire appelle et chante, hé elle nous fait signe, étonné l’enfant la devine plus qu’il ne la voit, il faut lui faire confiance, elle est un guide sûr, et son cœur est doux, jeune jean le sens comme une caresse sur sa joue qui ne sait pas encore qu’elle est de lumière 🙂 merci insaisissable semelles de vent
    c’est juste dans la fêlure…

  5. Petit glanage sur le mythème de l’insularité en terres d’occident :
     » Il est temps maintenant de faire quelques remarques d’étymologie pour souligner le lien intrinsèque qui existe entre l’île et le sacré. À la limite, on pourrait presque parler de pléonasme lorsque l’on rapproche les deux termes. Il s’agit en effet d’un même registre de pensée et donc d’expression. L’origine des mots « île » et « sacré » nous le montre clairement.

    • L’île est un des symboles majeurs de la géographie sacrée : elle est ce bout de terre qui est séparé, isolé par la mer qui forme ses limites naturelles (ïle/isle, même racine que l’italien isola, l’anglais island, Islande…).

    Par son isolement même, « l’île est un monde en réduction, une image du cosmos, complète et parfaite », justement parce qu’elle représente « une valeur sacrale concentrée », la notion rejoignant par là même celle du temple13.

    • le temple : radical i-e tem- (couper, délimiter, partager), que l’on retrouve dans le grec temenos, qui signifie domaine séparé, espace réservé au culte : « l’endroit réservé aux dieux, l’enceinte sacrée entourant un sanctuaire et qui est un lieu intouchable » [cf. la tempe ? zone de la tête que l’on ne doit pas toucher = temple au XIe siècle]. Sur la même racine, nous trouvons le latin tem-plum, qui désignait à l’origine un lieu bien précis : « Le secteur du ciel que l’augure romain délimitait à l’aide de son bâton et dans lequel il observait, soit les phénomènes naturels, soit le passage des oiseaux ; il en est venu à désigner le lieu, ou l’édifice sacré, où se pratiquait cette observation du ciel »14.

    • le sacré : là encore, d’un point de vue étymologique, le terme sacré désigne ce qui appartient à un domaine séparé, interdit et inviolable (enceinte sacrée) ; puis par dérivation ce qui fait l’objet d’un sentiment de révérence religieuse.

    Or nous savons qu’en manifestant le sacré, un objet ou un lieu deviennent autre chose, sans cesser d’être eux-mêmes : ils participent au milieu cosmique environnant mais prennent en même temps une dimension très différente. En effet, le sacré est saturé d’être ; il devient la réalité essentielle et, pour ceux qui croient, la seule réalité véritable.  »
    Francis Conte

    « 1. L’île Bujan n’est pas seulement la première des îles, mais aussi la première terre et c’est pourquoi elle est le foyer du sacré. Le nom même de Bujan, outre les multiples significations que l’on attribue à la racine buj, contient un sens révélateur et tout à fait caractéristique de la sémantique de l’île dans toutes ses significations celui de hauteur (Vieux-russe buj : colline, montagne, hauteur) ;

    2. À l’origine de l’île (ou bien sur elle) se trouve le rocher (bel-gorju?? kamen’, kamen’-alatyr’). Le motif du rocher est essentiel. L’île est en fait un rocher au milieu de la mer (cf. les dénominations fréquentes : kamennyj ostrov, kamen’-ostrov, i.e. « l’île de pierre » ou l’« île-pierre »). L’idée très répandue selon laquelle les rochers poussent contribue à renforcer le motif de l’apparition de l’île comme première terre. Tout aussi essentielle est l’idée que le rocher incarne la stabilité et la force dont l’île, entourée par les eaux, ne peut se passer. Le rocher-alatyr’, le « père de tous les rochers », est le premier rocher. On rencontre cette image non seulement dans les conjurations, mais aussi dans les poèmes spirituels (en particulier dans le Stix o golubinoj knige, qui est lui-même gravé sur ce rocher), et dans les bylines, où il symbolise le monde étranger. Sous le rocher se trouve une force puissante. Et c’est par la force du rocher que se fixent les paroles de la conjuration ;

    3. les objets se trouvant sur cette île primitive se définissent à leur tour en tant que premiers ou aînés. On y trouve une église, une colonne ou un chêne, et, en-dessous, un buisson d’osier blanc, sous le buisson, un rocher, sur le rocher, une toison, sur la toison, un serpent. Dans un ordre différent, on y trouve un tombeau (à l’intérieur, une sainte femme ou une belle jeune fille), sur le tombeau, une planche, sous la planche, le chagrin. Ou bien encore: on y trouve trois forges dont les forgerons sont des démons ; ils forgent une épée ou des flèches destinées à l’ennemi. C’est là encore que vivent les maladies ;

    4. de nombreux personnages habitent l’île: le Christ, la Mère de Dieu, les saints, les sages, les démons, le serpent, l’oiseau, l’animal sauvage. En général, il n’y a pas de vivants parmi eux. Et si un jeune homme ou une jeune fille apparaissent sur l’île, ils sont soit morts, soit prisonniers. Les personnages teriomorphes sont les ancêtres primitifs des animaux (chacun dans son espèce) : le serpent est l’aîné de tous les serpents, l’oiseau, le père de tous les oiseaux, l’animal sauvage, le père de tous les animaux sauvages ;

    5. comme l’a déjà fait remarquer A.N. Afanas’ev, les représentations attachées à l’île Bujan sont liées aux représentations de l’irie (irija, vyrija), contrée chaude en bordure de mer ou sur une île, où se rendent les oiseaux et les serpents pour l’hiver. Le motif du serpent sur l’île est récurrent. Dans les conjurations, le serpent est couché sous le chêne, sur une toison, et lèche un rocher blanc. Ce n’est pas un hasard si de nombreuses îles s’appellent « île du serpent » (zmeinyj).  »
    A. Bajburin

    « C’est dans cette affirmation de sa centralité que le microcosme insulaire retrouve l’universel. C’est dans cette affirmation qu’il traduit son caractère sacré. En effet, Gilbert Durand n’affirme-t-il pas que « si la notion de centre intègre rapidement des éléments mâles, il est important de signaler ses infrastructures obstétricales et gynécologiques : le centre est nombril, omphalos du monde. C’est pour ces raisons utérines que ce qui sacralise avant tout un lieu c’est sa fermeture : îles au symbole amniotique, ou encore forêt dont l’horizon se clôt lui-même. Le lieu sacré est bien une cosmisation. »
    …/…
    « Cette idée de l’île comme nombril du monde existait déjà dans la Grèce antique. Les Grecs anciens, s’ils n’avaient apparemment aucun terme pour désigner l’insularité, l’ont cependant figurée par des expressions métaphoriques comme « l’omphalos », mais aussi « le bouclier » ou « la coupe ». En réalité, l’omphalos est aussi le point central et le plus haut du bouclier. Et l’image de l’île s’élevant, montagne au-dessus des eaux, qu’Homère, dans l’Odyssée, évoque à plusieurs reprises constitue aussi, selon Sylvie Vilatte, « le trait d’union naturel entre le ciel et la terre, entre le monde des Olympiens et celui des hommes »
    …/…
    « Mais une autre figure va retenir notre attention, pour construire notre image de l’île sacrée, c’est la figure de « l’île labyrinthe ». Comme figure de l’espace insulaire, le labyrinthe remplit deux fonctions : celle de l’allongement des itinéraires, d’agrandissement d’un espace limité ; celle de protection de l’espace menacé et envahi, parce que le labyrinthe retarde et rend plus difficile la pénétration de l’espace insulaire. Mais c’est aussi, en tant que figure de la pensée humaine, une métaphore de la connaissance. »
    A. MEISTERSHEIM

    Sources :
    http://www.recherches-slaves.paris4.sorbonne.fr/Cahier7/Sommaire.htm
    Tout cela est en nous bien que nous le sachions peu. Creuser pour trouver une île, notre île ?
    Nasruddin y répond :
    « On ne vole pas un minaret avant de savoir creuser un puit. » 😉

  6. « Les mains plus nues qu’à ma naissance et la lèvre plus libre, l’oreille à ces coraux où gît la plainte d’un autre âge,
    Me voici restitué à ma rive natale… Il n’est d’histoire que de l’âme, il n’est d’aisance que de l’âme…. »
    Saint-John Perse, Exil [1941], in Éloges

  7. Ce n’est qu’une page parmi des millions de pages, comment dire encore l’apprivoisement de l’infini ?
    Le poète me pousse, me bouscule en ma craintivité animale, le secret de ma nuit, ma caverne peinte, mes éblouissements de l’en dehors dont l’ici est le théâtre et la geste grandiose de Son dit…

    Il est cette île qui est,

    Tous errent et la cherchent, la côtoyant sans cesse,
    Quand du coin de l’œil ils en perçoivent une lueur
    Ils la nient aussitôt, ne voulant croire à ce réel.
    La peur aussi, est-ce la folie qui m’égare ?

    Tous passent, ne voulant voir le ressac et les grèves,
    Ne voulant entendre ces chants doux qui dansent
    En âmes, fleurs et frondaisons. Les vouant à leurs démons…
    Aveugles et sourds, punis par leur vouloir d’un ailleurs à leur guise.

    Tous humains en ronde désespérée autour de la source,
    Ils posent pourtant la main sur la pierre, la sentent,
    Mais refusent l’eau qui chantonne, ignorée mais joyeuse.
    De ce maigre repos, ils repartent en soif encore plus amère.

    Il est cette source qui est,

    Loin des guerres même minimes, en murmure de paix aux sens des sages,
    En dits et contes, en rencontres connaissantes du partage,
    En signes renouvelés sur le chemin d’éveil d’autres sens,
    De ceux qui durent après la dissolution du corps, et découvrent le vrai.

    Il y a cette eau qui coule, toujours, venue d’île,
    Venue des chants qui la révèlent aux assourdis, qui oint les yeux.
    Venue de la lumière reine qui les accueille au sortir du sommeil,
    Venue de leur rêve et promesse qu’ils se hâtent d’oublier.

    Quel est ce vent qui emporte les rêves ?
    Qui est-il celui qui préfigure l’ensevelissement des possibles,
    Qui est ce magicien dont le plaisir est de faire durer
    Le pouvoir, les masques et la farce ?

    Il est un vent qui est,

    Quand il vient, il emporte les masques, papiers collés sur mur sourd,
    Quand il vient, il dénude, il montre, c’est douloureux,
    Quand il vient, il apaise l’acceptant et lui offre le voile.
    Dans l’invisible, tu ne cherches plus, tu as trouvé…

    Quand il est, et reste pour toi, pour ton besoin qui l’appelle,
    Il te porte partout et te réenfante, te chante ta mémoire oubliée,
    Retrace les liens de toi au monde et aux antécédents,
    Une vie recréée dans la lumière et les chants de l’île.

    Alors lui reconnu, reste dans ce vent qui te mène vers la plage,
    Les chants te protègent, tu te nourris des dits, de ton tissage de vie,
    Tu viens et tu es accepté. Alors tu te glisses semblable dans l’élan,
    Dans l’appel silencieux aux naufragés du monde.

    RIVAGE

    Il n’y a plus que silence à l’approche du lieu rêvé,
    Sur une houle sereine, bruissante là bas sur le sable, la voile tombe,
    Désormais inutile. Les gestes se suivent, marins, précis, automatiques,
    Mais les yeux se noient en larmes, tournés vers ce rivage.

    Ce silence et aussi la crainte de n’être accepté après ce long effort,
    La certitude pérenne d’y venir enfin, d’advenir, ne suffit pas,
    Ce monstrueux océan si peuplé de puissances, cette insignifiance du soi,
    Ce besoin, toujours reconstruit, cette soif lancinante suffirait-elle ?

    Traces des pieds nus sur le sable vierge, le désir d’être moins lourd,
    Comme un oiseau. Trop de sels sur les lèvres en dits inaboutis,
    Trop de vouloirs, être, paraître, écoutes et attentions…
    Trop d’oublis, mais pourtant, ta trace est venue sur ce rivage.

    Accepte, alors le chant est audible, ce sont les notes les plus fines
    Cueillies en ton voyage, aux cimes de tes élans les plus fous,
    Qui peut savoir sinon toi, sinon ta mémoire que tu poses là,
    En offrande. Tu sais déjà alors ce qui était juste et tu es moins nu.

    Qui de toi, quoi de toi, face à cette lumière qui vient de l’île,
    Face à ces regards amoureux, à ces chants qui brûlent l’inutile.
    Venu de toi-même, porté ; tu étais désiré, appelé, aidé, accouché…
    Alors tu le sais, tu retrouves tout ce que tu croyais perdu.

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