In memoriam Francine Segrestaa-Comte-Ségeste

Aujourd’hui Francine « la plus belle » s’est envolée vers la transparence.

Elle a joué de la flûte et nous avons beaucoup dansé.

Et maintenant, elle tourbillonne avec les étoiles.

— Elle est retrouvée. Quoi ? — L’Éternité.

Francine Ségeste 1935-2008.

Vivre, c’est transformer en conscience l’expérience la plus large possible.*

« J’ai vraiment fait ce que je pouvais faire de mieux », postface pour l’édition de Trames étranges de Francine Ségeste, par Alain Lipietz.

Elégie pour Francine Ségeste

Il fait froid dans cette pièce ils ont dit

Eteignez le chauffage on reviendra demain

Pour préparer le corps

Il fait froid je veux sur elle étendre son châle mais ce n’est plus la peine

Elle n’aura plus jamais froid

Cette couverture sur son corps de morte qu’on a mis

Achetée je ne sais plus où je ne sais plus quand

Et pourquoi je lui mettrais pas son châle

Trente-cinq ans qu’on l’a choisi ensemble

À Vézelay

Suite sur le site d’Alain Lipietz

*André Malraux cité par Francine Comte dans l’article paru dans la revue intemporelle des Humains Associés : « Alain Lipietz : Comprendre, dit-il…  »

Jean-Sébastien Bach : L’offrande musicale.

Rêver un impossible rêve

Jesse Jackson pleure de joie à Chicago.

J’aime ceux qui désirent l’Impossible !

Salut en humanité, Jesse Jackson,

Comme tu le sais, l’histoire de l’humanité sur Terre nous a appris que c’est toujours un petit nombre – à son propre détriment d’ailleurs – qui met en doute le schéma mental établi comme dogme absolu, qui ose proposer ce que d’autres – par ignorance et par peurs de toutes sortes, peur du ridicule et de l’exclusion entre autres – n’oseront jamais.

Avec ton ami, Martin Luther King, vous avez beaucoup osé et c’est grâce à des êtres comme vous qu’aujourd’hui Barack Hussein Obama est devenu le premier président coloré du monde nouveau.
Oui ! Barack a grandement osé et… grandement réussi !

Alors, effectivement, et je dirais même avec une fierté humainement assumée, nous pouvons dire que:
Si jamais quelqu’un doute encore que la Terre soit un endroit où tout est possible, qui se demande si l’impossible rêve d’une unité dans la multiplicité est toujours vivant, qui doute encore du pouvoir de notre humanité, la réponse lui a été donnée par le nouveau monde, par tous ceux qui, comme vous, ont toujours osé désirer l’impossible !

L’Espoir est là* !

*Même si Obama n’est pas le messie. 😉

 

I have a dream 
« « Je vous le dis aujourd’hui, mes amis, bien que nous devions faire face aux difficultés d’aujourd’hui et de demain, j’ai tout de même un rêve. C’est un rêve profondément enraciné dans le rêve américain. »

 

Je fais le rêve qu’un jour, cette nation se lève et vive sous le véritable sens de son credo : “Nous considérons ces vérités comme évidentes, que tous les hommes ont été créés égaux.???

 

Je fais le rêve qu’un jour, sur les collines rouges de la Géorgie, les fils des esclaves et les fils des propriétaires d’esclaves puissent s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.

 

Je fais le rêve qu’un jour, même l’État du Mississippi, désert étouffant d’injustice et d’oppression, soit transformé en une oasis de liberté et de justice.

 

Je fais le rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau, mais pour le contenu de leur personne. Je fais ce rêve aujourd’hui !

 

Je fais le rêve qu’un jour juste là-bas en Alabama, avec ses racistes vicieux, avec son gouverneur qui a les lèvres dégoulinantes des mots interposition et annulation; un jour juste là-bas en Alabama les petits garçons noirs et les petites filles noires puissent joindre leurs mains avec les petits garçons blancs et les petites filles blanches, comme frères et sœurs.

 

Je fais ce rêve aujourd’hui.

 

Je fais le rêve qu’un jour chaque vallée soit glorifiée, que chaque colline et chaque montagne soit aplanie, que les endroits rudes soient transformés en plaines, que les endroits tortueux soient redressés, que la gloire du Seigneur soit révélée et que tous les vivants le voient tous ensemble.»

 

 

Le révérend Martin Luther King Jr est un pasteur baptiste afro-américain né à Atlanta (États-Unis) le 15 janvier 1929 et mort assassiné le 4 avril 1968 à Memphis.

Le discours fut prononcé sur les marches du Lincoln Memorial pendant la Marche vers Washington pour le travail et la liberté à Washington DC le 28 août 1963.

Crise = opportunité ! (Effondrement d’un système dépoétisé – 2)

Comme vous le savez probablement, le mot crise trouve son origine dans le mot grec Krisis, qui signifiait « décision ». En chinois, il est composé de deux idéogrammes signifiant « danger » et « opportunité de changement ». Dans un cas comme dans l’autre, « crise » représente « le moment opportun pour la décision », « le temps de choisir ».

Aujourd’hui, nous sommes face à une occasion rarissime, où l’impuissance des « puissants » laisse une assez large place au libre arbitre de chacun.

En d’autres termes :

Il existe aujourd’hui un intervalle (vide) pendant lequel nous avons chacun la possibilité (l’opportunité !) d’influer sur l’avenir par notre prise de conscience individuelle, pourvu que cette prise de conscience se poursuive dans l’action.

Il se peut que nous soyons (enfin) arrivés au « temps du choix », mais voulons-nous vraiment « un autre monde » ? Et sommes-nous disposés à en payer le prix ?

Nous vivons un moment semblable à celui de l’effondrement du système féodal en Europe, entre le milieu du XVe siècle et le milieu du XVIe siècle, et de son remplacement par le système capitaliste. Cette période, qui culmine avec les guerres de religion, voit s’effondrer l’emprise des autorités royales, seigneuriales et religieuses sur les plus riches communautés paysannes et sur les villes.
C’est là que se construisent, par tâtonnements successifs et de façon inconsciente, des solutions inattendues dont le succès finira par « faire système » en s’étendant, peu à peu, sous la forme du capitalisme.

Or parallèlement au capitalisme, cette période voit également naître l’Humanisme, notamment à Florence lorsqu’en 1462, Côme de Médicis commande à Marsile Ficin la traduction en latin de l’œuvre de Platon.
Des philosophes comme le hollandais Érasme ou l’anglais Thomas More s’interrogent sur le sens de la vie. À l’instar de Giovanni Pico de la Mirandolla, ils placent l’être humain au coeur de leurs préoccupations, et ils sont de plus en plus nombreux à se dévouer sincèrement à une quête de la vérité dans laquelle ils n’hésitent pas à prendre de véritables risques, et à dénoncer des préjugés parfois pesants (voir Nicolas Copernic et sa thèse selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil et n’est donc pas le centre de l’univers).

De tâtonnements en tâtonnements, nous voilà… aujourd’hui ! Certes, le capitalisme est le système qui a su produire, de façon extraordinaire et remarquable, le plus de biens et de richesses. Mais il faut aussi regarder la somme des pertes – pour l’environnement, pour les sociétés – qu’il a engendrées, avec sa volonté expansionniste et l’automatisation rationaliste de l’existence ! Ce capitalisme-là a mis l’avoir au centre de ses préoccupations, laissant loin derrière l’être humain, devenu pour ainsi dire une marchandise de plus !

Mais si l’humanisme n’est pas (encore) parvenu à « humaniser le capitalisme », la partie n’est peut-être pas encore terminée. Le principe de l’échange est non seulement essentiel à toute civilisation, mais il est la condition même de l’évolution dans la Nature. Dans un monde harmonisé, l’humain et le capital n’ont pas de raison de s’exclure.
Ils sont et doivent être complémentaires. Comme moyen d’action, le capital n’est ni bon, ni mauvais. Il dépend avant tout des êtres humains, et de leur conscience, d’en faire une énergie de solidarité, d’équité !
Cette crise mondiale pourrait être l’occasion pour les Hommes de dépasser leur « moi particulier », égocentrique, répondant aux pulsions de l’utilitarisme restreint et immédiat, pour accéder à un moi universel capable d’adopter une perspective plus vaste et plus globale, faisant de la solidarité l’essence même de l’humanité.

Ne nous illusionnons pas : la crise présente est profonde, bien plus profonde que ne nous le donnent à voir les soubresauts du système financier. Et il est finalement heureux qu’il ne puisse être envisagé d’autre issue qu’une refonte véritable et sincère de la perspective humaine, privilégiant l’être plutôt que l’avoir, l’union plutôt que la division.

L’opportunité est réelle. Le vent solaire souffle. L’occasion est là.

Si on veut la saisir, c’est maintenant !

t.

Effondrement d’un système dépoétisé

Les marchands et les technocrates ont imaginé qu’ils pouvaient se passer de la poésie.
Comment en sont-ils arrivés à pareille bévue ?

Était-il bien raisonnable de transformer le rationalisme, le consumérisme en religion ?

Aujourd’hui, le doute n’est plus permis : en privilégiant la rationalité, la « virilité », le capitalisme sauvage, notre civilisation ne s’est pas dirigée vers le sublime avenir qu’elle croyait engendrer, mais vers sa propre mort ! Croyait-elle vraiment échapper à l’évidence : « toutes les civilisations sont mortelles » ?

Une existence, pour être réellement humaine, doit avoir une signification spirituelle, poétique. La poésie est la base de la société : « Les hommes ont besoin des poètes, car la fonction de la poésie est d’exprimer une vision globale de l’homme et du monde, de donner un sens à la vie. »
Sans eux, une société est sans âme. Elle se réduit à un agrégat d’individualistes, littéralement enfermés dans leur égotique solitude, paralysés par le néant. Mais quel néant ?

Une société qui oublie et méprise la poésie, et qui devient poétiquement stérile, court le risque mortel de l’effondrement. Car la connexion avec l’humain, avec le réel, n’est plus assurée. Les individus survivent biologiquement, certes, mais ils errent, désorientés, hagards, dans un total vide spirituel.

Nous avons, chez nous, perdu tout sens de la poésie.
Le poète est aujourd’hui considéré comme incongruité superflue, et le refus de l’idéal, c’est-à-dire de la poésie, est fièrement revendiqué et cyniquement affiché.

Nous nous vantons d’avoir mis fin aux débordements de l’imagination poétique, de la naïveté romantique, et d’avoir pour ainsi dire réduit à néant toute forme de croyance, tout projet spirituel. Chez nous, être spirituel, cela veut dire être superstitieux, barbare ! Le vrai civilisé, c’est l’homme qui porte sur le monde un regard froid, analytique, dépourvu d’affectivité. Le vrai civilisé est le savant, le technicien, le technocrate, le matérialiste, le financier.
Or, comme le dit Durkheim, « la faculté d’idéaliser, de poétiser, n’est pas une sorte de luxe dont l’homme pourrait se passer, mais une condition de son existence. »

Nous avons réduit au silence les prophètes et les poètes, c’est-à-dire ceux qui unissent toutes choses, ceux qui donnent sens aux choses. Et à force de réduire l’homme à un intellect, un cerveau, un objet de consommation, nous avons réprimé l’âme dans l’homme, l’idéal, la poésie, l’espérance, la fraternité… Chacun pour soi, et tout, tout de suite, « parce que je le vaux bien » !

Mais voilà ! Les bourses s’effondrent et notre culture industrielle hyper-rationalisée avec !

Et parce que nous avons oublié que l’homme ne se réduit pas au producteur/consommateur, qu’il est aussi et avant tout une créature sensible, imaginative et affective, parce que nous avons oublié que sans idéal poétique la vrai vie était absente, les fils de cette civilisation seront peut-être aussi démunis qu’un nouveau-né arrivant dans un monde inconnu, ou qu’un vieillard en partance pour un autre inconnu.

Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, la situation effrayante où l’on se croit plongé est l’annonce d’un bonne nouvelle, la meilleure qui soit : la Vie !
Naissance et mort ne sont-ils pas complémentaires ?

Puisse ce monde qui s’écroule renaître en une civilisation fraternelle, poétique, solidaire, en un mot, humaine !

Non, l’Homme ne vit pas que de pain !

En souvenir de l’ami Pierre Thuillier, si cher à mon âme…

t.

Rappel : La Grande Implosion, de Pierre Thuillier, chez Fayard (1995)

Dessin- Hokusai Katsushika ( le Fou de dessin)

Yves Saint Laurent, le faiseur de merveilles

Tout en discrétion, fidèle à toi-même, tu t’es envolé. Les anges ont bien de la chance…. ils auront désormais des vêtements sublimissimes, tissés de la matière dont sont issus les rêves les plus poétiques.
Grâce à toi, j’ai appris l’élégance, et j’ai transmis à ma fille ce que tu nous a appris de plus précieux : le bonheur d’être une femme libérée du conformisme vestimentaire, le plaisir d’être belle pour soi, tout simplement. Tu dis que « les plus beaux paradis sont ceux qu’on a perdus », te voilà de retour au paradis maintenant… Je suis contente que tu puisses entendre à nouveau La Callas chanter et Rudolf Noureïev voler !
Merci infiniment, l’artiste !

« Je pense que je n’ai pas trahi l’adolescent qui montra ses premiers croquis à Christian Dior avec une foi et une conviction inébranlables. Cette foi et cette conviction ne m’ont jamais quitté. Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, cherchés, traqués. Je suis passé par bien des angoisses, bien des enfers. J’ai connu la peur et la terrible solitude. Les faux amis que sont les tranquillisants et les stupéfiants. La prison de la dépression et celle des maisons de santé. De tout cela, un jour je suis sorti, ébloui mais dégrisé. Marcel Proust m’avait appris que « la magnifique et lamentable famille des nerveux est le sel de la terre ». J’ai, sans le savoir, fait partie de cette famille. C’est la mienne. Je n’ai pas choisi cette lignée fatale, pourtant c’est grâce à elle que je me suis élevé dans le ciel de la création, que j’ai côtoyé les faiseurs de feu dont parle Rimbaud, que je me suis trouvé, que j’ai compris que la rencontre la plus importante de la vie était la rencontre avec soi-même. Les plus beaux paradis sont ceux qu’on a perdu. »

Yves Saint Laurent


1936 – 2008

J’ai vu des beautés immenses et délicates
dîné dans des palais éblouissants de capitales tribales
et dormi entre le ciel et le sable du Takla Makan

Je me suis fait l’ambassadeur de rois guerriers
j’ai rencontré des mongols aux poings effroyables
et des pêcheurs de perles mi-hommes mi-poissons

J’ai glissé mes mains sous des voiles interdits
touché l’intouchable
et vécu les nuits sublimes du cantique des cantiques

J’ai dompté des chevaux Kirghiz
franchi le toit du monde et écouté le Dalaï Lama

J’ai coupé le santal de Mysore
incisé le pavot d’Anatolie
et broyé le safran du Madhya Pradesh

Je me suis enivré dans le jardin de roses du poète Saadi
j’ai tourné jusq’au vertige avec les derviches de la corne d’or
et volé comme un aigle avec un vieux shaman à moitié fou

Je connais l’odeur du suint et du cuir, des palais et des temples
l’odeur de toutes les épices, l’odeur de tous les aphrodisiaques
et celle de la peau des femmes et celle de la peau des hommes

Je suis riche, riche, incomparablement riche de ce que j’ai vécu.

Poème d’Yves Saint-Laurent

Le Smocking Yves Saint Laurent lors de son dernier défilé pour la collection hiver 2001-02.