Sables émouvants

« Avec les ailes que j’ai conquises de haute lutte, dans un brûlant élan d’amour, je m’envolerai vers la lumière invisible à tout œil, je meurs afin de revivre ».

« Afin que l’Amour dont Tu m’aimes soit en eux… »

Notre réelle individualité est notre âme vivante et vibrante. Et parce qu’elle est vivante, elle est en évolution. Parce qu’elle est en dehors du temps, son évolution n’est que le temps qu’il nous faut pour lui permettre de nous trouver…
Il est très difficile de se laisser « téléguider » par son âme, car il faut, pour lui permettre d’agir, opposer à une part de soi-même une très grande résistance. Il faut passer au crible de la critique tous les ordres que l’on pense recevoir d’elle. Ils proviennent, la plupart des fois, du moi despotique qui, comme le loup du Petit Chaperon rouge, se déguise en douce grand-mère.
Affranchir sa conscience de ce qui la limite est d’autant plus difficile que ces limitations donnent lieu à des agitations que l’on prend pour de l’activité, des susceptibilités que l’on prend pour de la sensibilité.
Inverser le processus de la dégradation de l’énergie, c’est aller dans le sens inverse de l’entropie et ainsi retourner dans l’intemporel !
Retourner dans l’Intemporel, c’est se laisser emporter par le Vent…

Le conte des sables

Née dans les montagnes lointaines, une rivière s’éloigna de sa source, traversa maintes contrées, pour atteindre enfin les sables du désert. Elle avait franchi tous les obstacles : elle tenta de franchir celui-là. Mais à mesure qu’elle coulait dans le sable, ses eaux disparaissaient. Elle le savait pourtant : traverser le désert était sa destinée. Même si cela semblait impossible. C’est alors qu’une voix inconnue, comme venant du désert, se mit à murmurer : « Le vent traverse l’océan de sable, la rivière peut en faire autant. »

La rivière objecta qu’elle se précipitait contre le sable, qui l’absorbait aussitôt : le vent, lui, pouvait voler, et traverser le désert. « En te jetant de toutes tes forces contre l’obstacle, comme c’est ton habitude, tu ne peux traverser. Soit tu disparaîtras tout entière, soit tu deviendras un marais. Le vent te fera passer, laisse-le t’emmener à ta destination. » Comment était-ce possible ? « Laisse-toi absorber par le vent. »

La rivière trouvait cela inacceptable : après tout, elle n’avait encore jamais été absorbée, elle ne voulait pas perdre son individualité. Comment être sûre, une fois son individualité perdue, de pouvoir la recouvrer ?

« Le vent, dit le sable, remplit cette fonction, absorbe l’eau, lui fait traverser le désert puis la laisse retomber. L’eau tombe en pluie et redevient rivière.

– Comment en être sûre ?

– C’est ainsi. Tout ce que tu peux devenir, si tu ne l’acceptes pas, c’est un bourbier, et même cela peut prendre très longtemps. Et un bourbier, ce n’est pas la même chose qu’une rivière…

– Est-ce que je ne peux pas rester la même, rester la rivière que je suis aujourd’hui ?

– De toute façon, tu ne peux rester la même, dit le murmure. Ta part essentielle est emportée et forme à nouveau une rivière. Même aujourd’hui tu portes ce nom parce que tu ne sais pas quelle part de toi-même est la part essentielle. »

Ces paroles éveillèrent en elle des résonances… Elle se rappelait vaguement un état où elle – elle ou une part d’elle-même ? – s’était trouvée prise dans les bras du vent. Elle se rappelait aussi – ou était-ce cette part en elle qui se rappelait ? – que c’était cela qu’il fallait faire, même si la nécessité ne s’en imposait pas.

La rivière se leva, vapeur d’eau, jusque dans les bras accueillants du vent, puis s’éleva légère, sans effort, avec lui. Le vent l’emporta à mille lieues jusqu’au sommet d’une montagne où il la laissa doucement retomber.

La rivière, parce qu’elle avait douté, fut capable se rappeler et d’enregistrer avec plus d’acuité le déroulement de l’expérience. « Maintenant, se dit-elle, j’ai appris quelle est ma véritable identité. »

La rivière apprenait. Et les sables murmuraient : « Nous savons, parce que nous voyons cela arriver jour après jour, et parce que nous nous étendons de la rive à la montagne. »

C’est pourquoi il est dit que les voies qui permettent La Rivière de la Vie de poursuivre son voyage sont écrites dans les Sables.

Contes derviches d’Idries Shah

Photo : le désert de Gobi, entre la Chine et la Mongolie.

15 réflexions sur “Sables émouvants

  1. Ainsi donc était le vent, un temps, et puis encore un temps mais où ce vent immense ?

    Lever l’encre

    S’il n’y a que cendres en terme de nos élans,
    S’il n’y a qu’un silence absurde à nos actes,
    S’il n’y a qu’une solitude de sens devant l’ami,
    Quelle raison autre d’aller et de lui dire ?

    Oh ! Tu es si lointaine et si proche à la fois
    Qu’en mon âme la boussole s’affole en perdition.
    Qui de toi, quoi de moi en ces actes et ces mots ?
    Comment accorder deux instruments si dissemblables ?

    Si aller de l’avant est sombrer un peu plus,
    Si me perdre à moi même est le chemin vers toi
    Alors oui et oui encore, là est mon entendement
    Et ma raison de respirer encore et de t’y sentir.

    Ma vie coule entre tes mains de jours en jours.
    Comment compter, comment ne pas être confiant ?
    Il n’y a que toi en vivances fulgurantes qui me tiennent
    En ce monde. Le glaibeux veut s’arracher aimée !

    Pour toi / moi t. et tes amies (is) un petit blues tout frais venu.
    t.

  2. @ Muskull

    Dans une presque infinie distance
    ils touchent leur proximité.

    Merci d’être là, ami !

  3. Ô! Sable, coule dans nos larmes.
    Toi, qui a Le vent pour ami
    un marchand, pour nos nuits
    Qui, nos ego désarme.
    Pour quelques heures, enfin
    Âmes vagabondes
    Pour quelques heures, enfin
    Vent, emportées par l’Onde.
    __

    HYMNE

    A la très chère, à la très belle
    Qui remplit mon coeur de clarté,
    A l’ange, à l’idole immortelle,
    Salut en l’immortalité !

    Elle se répand dans ma vie
    Comme un air imprégné de sel,
    Et dans mon âme inassouvie
    Verse le goût de l’éternel.

    Sachet toujours frais qui parfume
    L’atmosphère d’un cher réduit,
    Encensoir oublié qui fume
    En secret à travers la nuit,

    Comment, Amour incorruptible,
    T’exprimer avec vérité?
    Grain de musc qui gis, invisible,
    Au fond de mon éternité !

    A la bonne, à la très belle
    Qui fait ma joie et ma santé,
    A l’ange, à l’idole immortelle,
    Salut en l’immortalité !

    Charles Baudelaire « Les fleurs du mal »

  4. @ Tatihannah, l’amie de toujours

    […]

    Nous, les vagabonds, toujours en quête de la voie la plus isolée, nous ne commençons nul jour là où nous
    avons fini un autre, et aucun lever de soleil ne nous trouve là ou son coucher nous a laissés.
    Même alors que la terre sommeille, nous voyageons.
    Nous sommes les graines de la plante tenace, et c’est dans notre maturité et dans la plénitude de notre
    cœur que nous sommes livrés au vent et dispersés.

    « Je pars avec le vent, peuple d’Orphalese, mais je ne descends pas dans le néant ;
    Et si ce jour n’est pas l’accomplissement de vos besoins et de mon amour, qu’il soit alors la promesse
    d’autre jour.
    Les besoins de l’homme changent, mais non son amour, ni son désir que son amour puisse combler ses
    besoins.
    Aussi sachez que, du plus grand silence, je reviendrai.
    La brume qui s’évapore à l’aube, ne laissant que la rosée dans les champs, s’élèvera et se rassemblera
    en un nuage qui retombera alors en pluie.
    Et ce que j’ai été n’est pas sans ressembler à la brume.  »

    Extrait « Le prophète » de Khalil Gibran

  5. « Loin de toi
    je m’en retourne
    pour toi
    à l’origine
    en Réalité
    nous n’avons jamais été séparés »

    Osé

  6. …et puis aussi:

    « Mais laissez-moi aller jusqu’où souffle ma grâce »

    Patrice le La Tour du Pin

  7. « J’étais neige, tu me fondis.
    Le sol me but.
    Brume d’esprit, je remonte vers le soleil. »

    Djalâl ad-Din Rûmi

  8. Ame dépliée, dé ployée
    Si légère que les Sables n’en gardent nulle empreinte
    Mais le souvenir du vent qui chante dans ses ailes.

    Merci de ce Coeur à Coeur amoureux.

  9. Madame,

    Vous dites toujours l’essentiel en toute simplicité… Das isch wunderbar !(c’est merveilleux)
    j’apprends beaucoup de chose en vous lisant.

  10. formidable la femme aux semelles de vent, la lumière a trouve un terminal, désormais la joie nous habitera

  11. Affranchir sa conscience de ce qui la limite ?

    Comme pour un rappel en mémoire, je me répète chaque jour, silencieusement, ces mots de Thomas Merton:

    « En silence
    délivre moi Seigneur, de la paresse qui s’agite déguisée en activité, de la lâcheté qui accomplit ce qu’on ne demande pas afin d’éluder un sacrifice. Mais donne moi l’humilité en qui seule est le repos et délivre moi de l’orgueil qui est le plus lourd des fardeaux,
    et pénètre tout mon cœur, toute mon âme de la simplicité de l’amour. »

    …puis j’attends un moment, silencieusement, espérant.

    Parfois, cela me semble bien compliqué d’aller vers la « simplicité de l’amour » et je me prends à penser à d’autres moments que je suis là, justement,pour apprendre à aimer au-delà de mes masques ».

    en partage, fraternellement

  12. Salut en immortalité,

    Merci à vous tous pour vos participations qui réjouissent mon âme/coeur.
    Puisse notre fraternité ne jamais s’amoindrir.

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