Voyage en Italie

Santa Croce
Tatiana F. Salomon à Florence, Italie août 2008. © Sacha Quester-Séméon.

Ah ! l’insuffisance du langage pour décrire (dépeindre ?) à la fois le plus justement et le plus simplement possible toute la poésie, toute la beauté qui habite la Nature italienne ! Comment dire qu’au dedans de ses paysages, on circule comme dans une révélation ? Qu’on est enveloppé dans un climat d’harmonie, si évidente et pure, si lumineuse et simple que tout nous parait neuf, sans cesse renouvelé, à chaque souffle, à chaque regard, comme si dans ces paysages se concentraient les éternels matins du monde…

Ah ! pouvoir inventer une parole simple, si simple qu’elle n’a jamais été dite, pour pouvoir te dire mon amour et ma gratitude, « ma » bien aimée, ma che bella Italia !


Maria Callas – Bellini

Rainer Maria Rilke, Le livre du pèlerinage (extrait)

Tu es l’héritier.
Les fils héritent,
car les pères meurent.
Les fils fleurissent.

Tu es l’héritier.
Tu hérites de la verdure
de jardins passés, du calme azur
de ciels écroulés.
Rosée de mille jours,
tant d’étés que disent les soleils,
tant de printemps de lumière et de plaintes
comme les lettres d’une jeune femme.
Et tu hérites des automnes qui reposent
dans la mémoire des poètes
comme des robes fastueuses ;
et tous les hivers, terres orphelines,
semblent doucement se presser sur toi.
Et tu hérites de Kazan, de Rome et de Venise,
à toi seront Florence et le dôme de Pise,
la Troïtzka Lawra, le monastère qui,
sous les jardins de Kiev, dessine
un labyrinthe de couloirs noirs, –
les cloches de Moscou comme des souvenirs, –
et la musique sera tienne : voix, cors et violons,
et tout chant dont la profondeur
sera assez intense
brillera sur toi comme un diamant.

C’est pour toi seul que les poètes
s’enferment et rassemblent des images
pleines de sons et de richesses,
puis s’en vont, mûris par les métaphores
et toute leur vie restent solitaires…
Et les peintres ne peignent
que pour qu’impérissable
te revienne la nature
que tu as créée périssable :
tout devient éternel. La Femme en la Joconde
est depuis longtemps mûrie comme un vin.
Il ne doit plus y avoir de Femme,
car nulle femme nouvelle
n’apporterait de nouveau.
Les créateur sont comme toi :
ils veulent l’éternel. Ils disent : pierre,
sois éternelle. Et cela veut dire : sois tienne !

Les amants aussi amassent pour toi :
ils sont les poètes d’une heure brève.
Sur une bouche inexpressive
leur baiser imprime un sourire
comme s’ils la faisaient plus belle, –
et ils apportent le plaisir et nous ménagent
les douleurs qui seules mûrissent.
Et ils apportent la souffrance dans leur rire,
des désirs qui sommeillent, puis s’éveillent
pour éclater en pleurs dans un cœur inconnu.
Ils accumulent les énigmes et puis meurent
comme meurent les bêtes, sans comprendre, –
mais peut-être auront-ils des fils
en qui s’épanouiront leurs vertes existences ;
grâce à eux tu hériteras
de cet amour qu’ils se donnèrent
aveuglément, comme en dormant.

C’est ainsi que vers toi
afflue le superflu des choses.
Et comme les bassins supérieurs des fontaines
sans cesse débordant, telles des mèches
de cheveux dénouées, dans le bassin du bas :
la plénitude tombe en tes vallées
quand choses et pensées débordent.

Le livre du pèlerinage (qui fait partie du Livre d’Heures) a été écrit après les voyages en Italie et en Russie.
Traduction d’Arthur Adamov, Actes-Sud, 1989.

7 réflexions sur “Voyage en Italie

  1. Bravo et merci une fois de plus, chère hôte de ce blog plus léger encore que le vent.
    Vous convoquez le vide et la poésie comme personne. L’art, chez vous, se fait caresse, douce invitation et initiation subtile.

    La photo de ce post en est une illustration éloquente.

    Et comme vous avez raison : l’Italie est plus que l’Italie ; l’Italie est aussi tous ces poètes, musiciens, voyageurs et mystiques qui ont nourri son âme en nourrissant la leur.

    Merci de les brosser pour nous de votre plume délicate.

    Pour la tendresse et la beauté, merci, merci, merci.
    Ou devrais-je dire… grazie mille 😉

  2. Salut bellissima Tatiana!

    Una cosa sublime

    A una certa ora, monotona come il declino
    Del corpo, vive in me uno sperduto sublime
    di cui non ho più sentire né voce o presenza
    dolce di quando pareva cantare da un rudere. Una
    rara e confusa memoria di come chi firma con una croce,
    come una incauta rondine si aggrappa ai fili invisibili.
    Essa pur sempre parla invidiata dall’altitudine
    da cui si appresta, sorridendo e talvolta
    rompente come chi non ha mai peccato, orba
    del vuoto come io di cio non posso, e stento
    ad afferrarla mentre essa mi sgomenta, quanto
    toccarla mi svanisce. E’ certo troppo lontana.
    E’ impenetrabile per noi e si chiama delizia
    del giusto.

    Quelque chose sublime

    Il est une heure, monotone comme le déclin
    du corps, où vit en moi un sublime éperdu
    dont je ne perçois plus ni cette voix, ni cette présence
    douce du temps où il semblait chanter du fond d’une ruine. Une
    mémoire rare et troublée comme de qui signe avec une croix,
    comme une hirondelle imprudente qui s’accroche aux fils invisibles.
    Et pourtant elle parle toujours attirée par l’altitude
    d’où elle s’apprête en souriant et d’autres fois
    elle est cassante comme qui n’a jamais péché, orbe
    du vide comme moi qui n’y peux rien et ne peux
    la saisir tandis qu’elle m’effare, quand
    la toucher m’échappe. Elle est vraiment trop loin.
    Elle nous est impénétrable et elle s’appelle délice
    du juste.

    Attilio Zanichelli

  3. Il y a là
    L’Italie enlacée de gris, non pas du gris;
    Il n’y a que les imbéciles pour en dire du mal
    Une infinité de nuances, des variations sans fin,
    des gris profonds, des gris légers,
    presque blancs, presque bleus
    Des vert-de-gris
    En équilibre sur l’instant,
    Où tout repose comme par miracle.
    Une fontaine jaillit de la main Humaine,
    Le fer dessine une moustache
    en forme d’ailes sur la frise,
    Les colonnes se reposent
    les unes sur les autres
    vers un ciel évanescent.
    Un arbre pousse dans le vide
    Sous les soleils de pierre;
    Transfigurés,
    et Rilke chante,
    Ex abundantia cordis os loquitur.

    Le coeur est ravi,
    un ange est passé…
    🙂

  4. Tant de beauté ! Tant de beauté !
    A faire frémir le coeur ému .

    Le monde , tel que Vous nous le montrez est donc si beau !

    Ô apprendre à voir avec vos yeux, écouter comme Vous savez écouter
    aimer comme Vous savez aimer.

    Quelle terre de mon coeur, à voir cette photo si lumineuse, à savourer le poème en écoutant La Callas, me souffle que Oui,Oui! c’est ainsi que le coeur amoureux, éveillé, voit le monde ?

    Merci, merci infiniment.

    Félix

  5. Carissima e dolce amica!

    Ainsi le bon discours, la bonne harmonie, la grâce et l’eurythmie dépendent de la simplicité du caractère, non point de cette sottise que nous appelons gentiment simplicité, mais de la simplicité véritable d’un esprit qui allie la bonté à la beauté.

    Platon,La République,livre III

  6. Tatiana, tu as trouvé ici, une élégante et originale façon de dire : Viva Italia ! 😉

    J’aime beaucoup cette photo. Et le poème de Rilke est magnifique.

    Oui, cette Italie que tu décris avec tant de délicatesse est un ravissement !
    Cette culture est la mère de la nôtre. Et puis, il y a la langue aussi, si chantante et si gaie.

    En étant présent en Italie, on se sent comme enveloppé par la bienveillance et la beauté, une beauté authentique.

  7. Oui à la Grâce et la Beauté de l’Italie,
    à ce supplément d’âme qui partout enchante le regard, émerveillé
    transport amoureux, tout en tendresse et raffinement
    subtil et délicat nuancier de couleurs pastel
    parfum de Beauté

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