« QUI DONC, SI JE CRIAIS, M’ENTENDRAIT… »

« QUI DONC, SI JE CRIAIS, M’ENTENDRAIT… »*

« Je chante, et ton âme frémit en reconnaissant d’anciennes paroles ; une voix qui est en toi, et qui s’était tue depuis bien longtemps. »**

Je donnerai toutes mes aurores, mes plus beau rêves, mon sommeil… pour dissoudre l’ennuitement qui nous plonge soudain hors de la joie, hors du printemps.

Ô ! Qu’elle vienne, qu’elle vienne l’ardente flamme des lendemains qui chantent, nous allumer, nous illuminer de l’intérieur.

Quelle vienne la parole poétique qui dissout les ténèbres, repousse la tristesse, disperse les lourds nuages du désenchantement et de la douleur qui enveloppent nos âmes sidérées.

Qu’ils viennent les mots qui guérissent, les mots pardonnants, les mots consolants, tendres et bienveillants. Les mots lumière qui tisseront un nouveau paradigme, un Nouveau Monde !

Des mots qui inspirent à nous Âmes l’ardent désir de l’Humanité, de la Solidarité, de la Fraternité de chacun envers tous les autres.

Des mots d’AMOUR, en somme !

 

*Rilke – Elégies de Duino.

**Le Sefer Ha Zohar (Livre de la Splendeur)

Tableau : Michelangelo – Saint-Michel, chapelle Sixtine

Acquiescer

« Tous nous serions transformés si nous avions le courage d’être ce que nous sommes ».*

Voilà c’est parti, la bascule a eu lieu. Plus personne ne peut s’échapper à soi-même. Courage, plongeons à l’intérieur de nous-mêmes, là ou séjourne l’enfant que nous n’avons jamais cessé d’être. Allons bâtir un monde nouveau, un nouveau paradigme où nous serons nous-mêmes, simplement nous-mêmes, démasqués car libérés de tout ce qui n’est pas nous. Libres car désenchaîné des apparences trompeuses et des fausses valeurs.

Que cette société qui ne cesse de nous sommer de consommer sans cesse, de désirer toujours plus, d’être toujours davantage fascinés par les possessions les plus inutiles, que cette société-là se désagrège, ce n’est certes pas une mauvaise nouvelle ! Bien au contraire !

La bascule à laquelle nous assistons peut être l’opportunité de réaliser (enfin !?) que l’essentiel, qui est LA VIE même, nous ne l’avons jamais possédé. Cette VIE nous a été donnée en partage, prêtée pour un moment déterminé, même si nous en ignorons la durée, et à l’heure de la rendre, nous n’avons d’autre choix que d’acquiescer.

Il en est ainsi depuis le commencement : rien de nouveau à cela !

Depuis que l’Homme est l’Homme, les fêlés de la Lumière (aussi nommés « les fous de Dieu ! ») l’ont dit dans toutes les langues. Sans grand écho, à vrai dire. Alors, à quoi bon ? À quoi bon rappeler ce qui, même crié, n’est pas entendu ?

À quoi bon ? Vraiment ?

Allons… Ne saisissez-vous donc vraiment pas ? Ne comprenez-vous pas encore ? Auriez-vous le cœur endurci ?

Comme nous le  rappelle Sénèque: « Puisque tout ce que tu aimes et respectes et tout ce que tu méprises sera également réduit en un seul tas de cendres, prends conscience de ta finitude et de la vanité des possessions : tu ne t’attacheras pas trop aux biens matériels qui te seront tous soustraits avec tous tes désirs qui leur sont liés. »

Dans le secret de nous-mêmes, même si nous faisons semblant de ne pas savoir, NOUS SAVONS L’ESSENTIEL. Nous connaissons les vraies valeurs de nos existences terrestres. Ne vous les rappelez-vous pas ? Vraiment ?

LE VRAI, LE BIEN, LE BEAU, LE JUSTE. Sublime semplicità qui trouve son ultime accomplissement dans L’AMOUR !

 

* Marguerite Yourcenar
Tableau : Rembrandt le philosophe en méditation.

 

Temps Suspendu

Nous, les surpuissants, terrassés par l’infiniment petit.

À PARTIR DE MAINTENANT, NOUS ALLONS PEUT-ÊTRE ARRÊTER LA GUERRE DE TOUS CONTRE TOUS. Aller vers ce qui nous unit, si nous voulons, avant même de vivre de telle ou telle manière, déjà tout simplement survivre !

Notre arrogance, notre orgueil d’appartenir à l’espèce dominante en route vers l’immortalité, notre indifférence hautaine et glaciale envers tout ce qui n’est pas MOI, se trouvent brusquement confrontés au constat que nous sommes non seulement mortels, mais éminemment fragiles ! Comme toute œuvre d’art, à vrai dire… Si, si, vous avez bien lu : j’ai parlé d’ŒUVRE D’ART.

Dessillons nos yeux (ceux du cœur, d’abord) et nous verrons LA MERVEILLE qui est la VIE, ce mystère jaillissant de lumière et de beauté. Qu’elle se manifeste à nous comme une œuvre d’Amour qui dépasse notre entendement, ou comme un processus apparement hostile et  indifférent à la souffrance et aux malheurs des Hommes, la VIE toujours en mouvement nous porte vers notre évolution, notre accomplissement. Notre bien.

L’humanité évolue et à chaque étape nous devons lutter contre nous-mêmes, contre notre propre ignorance, contre « l’ennemi » qui est en nous…

À chaque étape, nous devons surmonter des obstacles biologiques, géographiques, atmosphériques, mentaux, afin d’apprendre davantage, de comprendre davantage, ce qu’est la vie et ce que nos sommes, nous les vivantes dans la vie.

À chaque étape, nous avançons. Pas à pas, nous évoluons dans la connaissance, la compréhension, vers le meilleur de nous-mêmes.

Cette fois-ci nous n’allons plus nous battre les uns contre les autres. Cette fois-ci nous avons un ennemi commun. Il n’est ni blanc, ni noir, ni rouge, ni jaune. Il n’est ni riche, ni pauvre, ni d’Occident, ni d’Orient.
NOTRE ENNEMI EST INVISIBLE. Il n’est qu’un virus. Le haïr serait absurde !

Face à cet ennemi universel, il n’y a a pas de bouc émissaire qui tienne. Pas d’autre dieu que L’AMOUR. Pas d’autre solution que la solidarité, la fraternité pleine et entière.
Pas d’autre rêve que celui de s’en sortir, ensemble, tous ensemble !

Maintenant, tout n’est plus quand je veux, si je veux, tout-de-suite. « Moi d’abord », c’est fini ! Nous sommes obligés de coopérer, de nous supporter les uns les autres, de faire cause commune, si nous voulons qu’un demain humain existe encore. Pour chacun de nous, comme pour NOÛS tous.

Je crois cela possible, je crois que nous le pouvons, si nous le voulons.
JE CROIS EN L’HUMANITÉ !
ET VOUS… ?

Invitation au beau geste

Le « beau geste » nous fait sortir de nous-mêmes, de nos limitations, en nous attirant vers le haut !
Un beau geste est toujours également une bonne action. Et réciproquement.
Car celui qui fait le bien fait en même temps le beau.

Pour Bergson, « l’état suprême de la beauté est la grâce, or dans le mot grâce, on entend la bonté, car la bonté est la générosité d’un principe de vie, qui se donne indéfiniment. Donc à travers le mot grâce, beauté et bonté ne font qu’un. »

C’est si vrai : dans notre merveilleuse langue française, « grâce » signifie à la fois la beauté et la bonté.
C’est en ce sens que les deux sont inséparables. La beauté véritable, celle qui sauve, est la divine Grâce en laquelle vérité, beauté et bonté se confondent.
Elle apaise, guérit et restaure l’harmonie. Elle nous émerveille en nous transportant dans la joie !
Authentique, elle ouvre le cœur humain à la nostalgie de la lumière, au désir profond de connaître, d’aimer, d’aller vers l’Autre – vers ce qui est au-delà de soi.

Si nous consentons la beauté/bonté, nous voyons que nous sommes touchés au plus profond de nous-mêmes. Soudain nous sommes à vif, ouverts à l’Ouvert. Nous redécouvrons le sens profond de notre existence, le Mystère qui nous enveloppe, nous porte et nous transporte : l’Amour !

« Cet Amour là dont nous sommes issus
Cet Amour là, dont nous sommes faits » (Ibn El Arabi)

Cet Amour là, auquel nous aspirons parfois sans le savoir.

Finalement, si la beauté/bonté peut « sauver le monde », c’est qu’elle nous ouvre à la vision de l’intérieur, celle qui nous fait voir avec le cœur, où seul l’Amour peut nous conduire. Et à la lumière de cette trans-figuration qui rend visible l’invisible, nous voyons que L’UN EST L’AUTRE.

C’est ainsi que le beau geste devient l’instrument que nous réconcilie, qui nous guérit, nous harmonise avec nous-mêmes, avec le ciel et la Terre !

Oui, la beauté sauvera le monde.
Alors permettez-moi de nous inviter tous à ce beau geste, plein de grâce, qui est d’abord bienveillance les uns envers les autres. Par cette beauté, transmuée en bonté, le meilleur de nous-mêmes se révèle, nous unifie et nous ramène à nos origines, chez NÔUS, là où se résout toute séparation.

Ô crois, ô mon cœur
Le printemps arrive et l’été viendra !
Et nous oublierons tout ce chaos, toute cette douleur. Toute désespérance.
Ô crois, ô mon cœur
La joie reviendra !

Rester chez soi !

VA VERS TOI-MÊME ! LEKH LEKHA !

Le confinement qui nous est aujourd’hui imposé pour cause de coronavirus me fait soudainement basculer dans ma plus prime enfance, où j’avais décidé de m’isoler de tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un être humain. Je n’ai jamais aimé parler de moi : j’ai l’impression que cela restreint ma liberté, mon intimité sacrée. Mais aujourd’hui, ça parle, en jazz, en free, en jam. Alors, j’y vais !

Je suis née différente, « spéciale », comme disaient les femmes de mon Kibboutz à la sauce brésilienne. J’étais semble-t-il une sorte d’humain non identifiable. Il se peut bien que je le sois encore… Pour commencer j’étais une bizarrerie que refusait absolument de parler. Mais la musique était là !

D’aussi loin que je m’en souvienne, elle résonnait dans ma tête. J’entendais des mots chargés de couleurs, de parfums, de saveurs. Comme des explosions d’allégresse.
Or ces harmonies intérieures, si riches, si souriantes, ne correspondaient jamais à celles des mots que l’on entendait çà et là, prononcés à la va-vite, dans le monde des grandes personnes. Les mots du dehors sonnaient faux. Amers. Acides. Atones. Comme désaccordés. Comme si la tête et le cœur étaient déconnectés. Il me semblait, pour cette raison, que ces mots ne pouvaient qu’être faux.

Alors je me taisais.
En apparence. Car je conversais avec la Nature.
Elle, parlait toujours vrai. À travers le vent. Les ruisseaux. Riant comme des enfants.
Et je dialoguais avec elle. Je parlais avec les pierres, les animaux, les fleurs des champs.

Pas avec les Humains.

Jusqu’au jour où, par une grâce merveilleuse… la Vie a placé sur mon chemin musical et silencieux un improbable précepteur !

Il était italien, sculpteur et jésuite. Il venait directement du Vatican et avait « échoué » là – Dieu sait pourquoi ! –, au beau milieu de nulle part, entre plantations de canne à sucre et hordes de chevaux galopant la crinière au vent, à travers un espace quasi infini.

J’avais cinq ou six ans à peine. Nous nous sommes reconnus à travers notre solitude. Notre exil ?
Il me parlait de l’Humanité. Il me parlait de l’Italie. Il me parlait de François d’Assise, de l’humilité poétique, de l’Amour pour tout ce qui respire. Et il ajoutait : « et le Tout respire ! » Ses mots étaient mots de lumière. Ils avaient de la saveur. Ils vibraient d’une musique venue d’ailleurs. De l’intime. Il parlait avec son cœur. Il parlait vrai.
Pour la première fois, la parole semblait pouvoir s’accorder avec la vie !
Il m’a tout appris. TOUT.
Car celui qui vous apprend la parole vous apprend la poésie, la beauté, la bonté, la vie.

Et un jour, quelques années plus tard, soudainement, moi qui ne parlais pas, je lui ai répondu… en chantant !
Et je n’ai plus cessé de chanter. Pas toujours juste. Pas toujours à propos. Mais je savais dorénavant que parler, communiquer, ce devait être avant tout chanter. Enchanter, même.

Mon ami Umberto – c’était son nom – me disait que tout au monde était réparti suivant quatre catégories.
Tout, y compris les fleurs, les pierres et les hommes. Il y avait les acides, les amers, les salés et les sucrés.
Et il disait qu’à chaque catégorie correspond des vibrations propres.
Que tout art est alchimique et consiste à réaliser un dosage harmonieux de ces quatre saveurs, et de la musique et du parfum qui en découlent.
Pour lui, l’humanisme est la recherche de cet équilibre, ce Grand art seul capable de rendre un homme réellement humain. De faire de nos paroles et de nos gestes des chants de vie et de tendresse, des berceuses qui nous accompagnent tout au long de la vie, et au-delà.

Tout cela, je l’ai retenu et fait mien. Et en particulier, qu’au commencement se situe la parole, le logos. Que ce logos est pure musique lorsque nous sommes accordés à nous-mêmes. Et qu’il peut nous guérir de tout, aussi bien qu’il nous peut blesser, et tuer, lorsque nous sommes désaccordés. Que le dialogue, la conversation, sont le moyen de se connaître, de se reconnaître, de se réunifier, de s’aimer et d’aimer. La conversation est la structure qui relie l’être à l’être. L’intérieur à « l’extérieur ». Elle est le pont entre soi et soi-même. Elle est le mouvement de la vie. Qui se verse et se déverse. De l’un à l’autre. Car l’un est l’autre.

Mais pour converser, il faut aussi s’ouvrir à l’autre, et accepter la contradiction, non comme une agression, mais comme un enrichissement possible. Être prêt à l’incompréhension. Consentir à la mésentente. D’accord pour ne pas être d’accord. Afin d’arriver, peut-être, à ce vivre-en-paix auquel nous aspirons tous, au fond, dans le secret de nos cœurs.

Voilà pourquoi, aujourd’hui, au coeur de notre confinement, j’ai voulu partager ce témoignage intime, afin de maintenir le dialogue, d’approfondir nos échanges. Avec le souhait qu’à travers ce dialogue nous puissions tous aller vers ce qui nous unit, plutôt que vers ce qui nous divise, comme c’est si souvent le cas entre les hommes.

C’est aussi ma façon de célébrer la mémoire et le message intemporel de mon cher précepteur, qui en m’apprenant la parole m’a donné accès à ces biens si précieux, si essentiels, que sont l’échange, l’écoute, le dialogue.
Maladroitement au début, comme un musicien débutant peinant à faire ses gammes. Mais sans perdre de vue l’essentiel : parler vrai, dire, se dire. Et à travers ce don de soi, souhaiter faire de soi-même, de Noûs, des êtres musicaux, humains, véritablement humains. Et de nos vies des hymnes, des poèmes, des symphonies. Et quand enfin l’aube nouvelle viendra et que la Terre et nous serons guéris, unis les uns aux autres et enlacés à elle, nous tisserons en dansant un nouveau monde, par la grâce du Vrai, du Bien, du Beau, qui jaillira du meilleur de nous-même.

Que la joie du partage demeure ! Que l’Amour demeure ! Je crois en Noûs !

Au commencement était la parole et la lumière qui voit et fait voir.
À la fin aussi !