
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été amoureuse du vide, de la plénitude du vide. Il faut dire que j’ai été élevée dans les grands espaces où le ciel et la terre se confondent dans une étreinte si intime que l’on ne peut jamais distinguer l’un de l’autre. D’ailleurs, l’un est l’autre, mais ceci est une autre histoire…Ah! L’ivresse de ces espaces habités par la seule lumière et du vent qui danse sur les plaines fleuries, sur la terre rougissante d’allégresse. Et puis, cette soudaine présence jaillit de nulle part qui discrètement murmure au-dedans du rien, des chants qui font poindre les sources d’eau vive. Des chants qui font chanter les pierres et rendre aimants les animaux sauvages. Chant qui nous permet de disparaître dans le paysage et de devenir nuage, oiseau, pluie, lumière… Aujourd’hui, je ne sais dire qui au juste souhaite rendre hommage au vide. Lui qui contient tout et n’est contenu par rien, lui le Sans Forme qui permet néanmoins le processus d’intériorisation et de transformation par lequel tout chose et tout être réalise son même et son autre, et par là atteint la totalité, la plénitude du Rien justement ! Suprême délicatesse lui l’Évident à l’Etendue Illimitée. Il se déplace tout en restant sur place et ainsi Il Est là comme s’Il n’était que métaphore, comme s’Il n’était que par façon de parler…
Infinie gratitude à cet Humble Rien, Inclinaison amoureuse au Vide, d’où jaillit la Lumière qui est la Vie, qui Est…
Regardant sans voir, on l’appelle Invisible; Ecoutant sans entendre, on l’appelle Inaudible; palpant sans atteindre on l’appelle Imperceptible; voilà trois choses inexplicables qui confondues font l’unité. Son haut n’est pas lumineux, son bas n’est pas ténébreux. Cela serpent indéfiniment indistinctement jusqu’au retour au Non-Chose. On le qualifie de Forme de ce qui n’a pas de forme et d’Image de ce qui n’a pas d’image …
Lao-tzu
Chevaucher le vent
Après avoir reçu les instructions de son maître, Lie-tseu était retourné chez lui » en montant sur le vent « . Un disciple vint le trouver mais il attendit plusieurs mois, sans que Lie-tseu lui adresse la parole. Il partit donc, mais revint quelques temps plus tard. Lie-tseu lui dit : » Au début, je t’avais cru intelligent, maintenant je vois à quel point tu es stupide ! Assieds-toi, je vais t’apprendre ce que j’ai appris de mon maître. Trois ans après que je me fus mis à son service, mon esprit n’osait plus distinguer le vrai du faux, ma bouche n’osait parler de l’utile et du nuisible; pour la première fois, j’obtins de mon maître un regard. Au bout de cinq ans, je réfléchis de nouveau sur le vrai et le faux et ma bouche put reparler de l’utile et du nuisible; alors, pour la première fois, le visage de mon maître s’éclaira et il sourit. Au bout de sept ans, je pus libérer mes pensées des notions de vrai et de faux, je pus libérer ma parole, elle ne concernait plus l’utile et le nuisible. Alors, mon maître m’invita à m’asseoir auprès de lui sur sa natte. Au bout de neuf ans, l’extérieur et l’intérieur était confondus, mes yeux furent comme mes oreilles, mes oreilles comme mon nez, mon nez comme ma bouche, tous mes sens étaient identiques. J’eus le sentiment que mon esprit se figeait, que mon corps se désagrégeait, que mes os et ma chair se dissolvaient… et finalement je ne savais si je portais le vent ou si le vent me portait. »
Rentre en toi
au lieu où il n’y a rien
et prends garde que rien n’y vienne !
Pénètre au-dedans de toi
jusqu’au lieu où nul penser n’est plus
et prends garde que nul penser ne s’y lève !
Là où rien n’est,
le Plein !
Là où rien n’est vu,
Vision de l’Etre !
Là où rien n’apparaît plus,
apparition du Soi
Cela même qui n’a pas de forme!
Pensée Zen Soufi
Note Bene:
Je voudrais dire ici ma gratitude à Lao Tzu, Shih-t’ao… Et à la civilisation orientale (dans le sens corbinien du terme) qui m’ont appris avec patience et bienveillance, non pas à chercher à combler le vide, mais à atteindre un état de vacuité qui permet de se relier avec notre intime, notre Être intérieur, à cet essentiel qui communique avec le meilleur de nous-mêmes,
Qu’il vienne, qu’il vienne, le temps où l’on s’éprenne du Vide… Amen !
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