Un jour, ce qu’il y a au monde de plus silencieux et de plus léger est venu à moi.*
Et si, au lieu de dormir, nous restions éveillés ?
Apprendre à vivre en pleine conscience dans la réalité, au lieu de vivre en aveugle dans l’illusion.
Paraître est une chose, être en est une autre. Il faut apprendre à distinguer entre les deux.
C’est par la beauté que l’on s’achemine vers la liberté.
Réversibilité
Un infime mouvement, la tête penchée imperceptiblement sur l’épaule, et voici que l’apparent s’évanouit et qu’il apparaît, Lui, le support du monde.
À l’envers comme à l’endroit ?
Faire le dedans comme le dehors et le dehors comme le dedans ?
C’est comprendre que le germe et son enveloppe, l’essence et l’apparence, sont une seule et même
énergie, un seul et même…
L’être commence à chaque instant.
L’homme intériorisé ne jette aucun regard sur lui-même.
Qui verrouille les portes ?
Aller à l’Essentiel, peu importe comment, mais y aller !
Point, rien qu’un point, fixe dans la dispersion (des sens). Point qui se renouvelle à chaque souffle, point initial, point final.
Point infinitésimal.
Si grand qu’Il peut assumer des limites sans qu’Il en soit limité.
Chaque jour est un miracle en soi.
La bienveillance suprême exclut toute bienveillance partiale.
Les hommes passent leurs jours à dormir leur vie.
Seul,
Celui que rejette le masque de sa personne peut vivre ouvertement avec son visage originel.
Sans raison, pour le seul plaisir.
Imite la danse des oiseaux quand ils déploient leurs ailes.
Se laisser aller à la dérive, comme une feuille qui flotte sur un ruisseau.
Vagabonder au fil de l’eau, vers l’instant.
Cet instant où l’on s’appartient totalement.
Un indice suffit.
Même dissoute, même dispersée par le vent,
elle fremit dans les feuilles,
flotte dans les nuages,
étincelle dans l’eau,
sourit dans le ruisseau.
La cloche du temple s’est tue.
Dans le soir, le parfum des fleurs
En prolonge le tintement.**
t.zéro
Le Symorgh
Cent mille oiseaux se rassemblent pour aller à sa recherche… Certains, attachés par leur idolâtrie – le fait d’aimer comme tout ce qui n’est pas le tout –, s’y dérobent et s’excusent. Le rossignol sera retenu par l’amour de la rose ; le paon, par les beautés de la terre ; le canard, par son eau… L’initiatrice, la Huppe, fait ressouvenir aux autres que l’amour aime les choses difficiles ; ils éprouvèrent alors le désir d’entreprendre le voyage, le coeur soulevé par la pensée inassouvie du Symorgh.
La route est longue et dure, semée d’embûches, de chutes, de traversées du désert…
À travers mille épreuves, après avoir franchi les sept vallées du désir, de la recherche, de l’amour, de la connaissance, du détachement, de l’unité de l’extase, de l’extinction du moi, trente seulement arrivent au terme de leur pérégrination ; ils parviennent à la septième vallée dans un total dénuement : sans plumes, nus, le cœur brisé, brûlés de corps et d’âme, devenus comme du charbon en poussière.
C’est alors qu’ayant tout donné, toutes choses leur furent rendues. Ils furent admis à contempler la face du Roi. Et voici qu’il leur dévoila le secret de la pluralité et de l’unité des êtres : dans le reflet de leurs propres visages, ces trente oiseaux contemplèrent la face du Symorgh (signifie « 30 oiseaux » en persan), eux tous ne faisant qu’un, transfigurés par le renoncement à eux-mêmes et à toutes choses. Le Symorgh leur dit :
“Le Soleil de ma majesté est un miroir. Celui qui vient s’y voit tout entier… Quoique vous soyez profondément changés, vous vous voyez vous-mêmes tels que vous étiez déjà… Lorsque vous avez franchi les vallées du chemin redoutable, lorsque vous avez souffert et combattu pour vous dépouiller de vous-mêmes et atteindre la plénitude, vous n’avez agi que par mon action. Anéantissez-vous donc en moi glorieusement et délicieusement, afin que vous vous retrouviez vous-mêmes en moi…???
Les oiseaux s’anéantirent à la fin pour toujours dans le Symorgh : l’ombre se perdit dans le soleil, et voilà tout.
*Nietzsche
**Bashô
***Simorgh in Colloque des oiseaux
Farid al-Din Attar, né en Perse vers 1140, fut l’un des plus grands poètes soufi.