Vagabondages

Debout, mon amie, ma belle, et viens-t’en, car l’hiver est passé, la pluie s’en est allée. Les fleurs apparaissent sur la terre, le temps des chants est venu…

Arrivé au sommet de la montagne, grimpe encore !

Au seuil de l’illimité
L’air respire, inspire et appelle
Ne pas résister aux trouées des nuages.
faire le grand saut.
Ici
si l’on grandit, c’est du côté du ciel.

Ah ! voir une fois encore la pesanteur changée en souffle…

L’espace s’est vidé en s’inclinant pour recevoir la lumière.
De sa transparence jaillit celui qui éclaire
Transparence sur transparence
Plus je deviens transparent à la lumière, plus je perçois la splendide simplicité de l’être et des choses.

Il y a la certitude de la joie parce qu’il y a la connaissance de la beauté.
Il y a la connaissance de la beauté parce qu’il y a la certitude de la bonté.

En m’éloignant de la simplicité, je me suis éloignée de la plénitude intérieure.

Consentir à se perdre en soi-même pour se retrouver.

Nous vivons au milieu de sommeils, tandis que des « Noûs » divins autour de nous respirent…

Nous portons en nous mêmes quelqu’un qui nous suit partout et qui veille.

Il suffit de s’oublier une fraction de seconde pour que les chaînes soit rompues.

L’idée de conversion signifie simplement l’idée d’un mouvement par lequel je puis regarder le monde autrement, d’une autre manière et sous une modalité différente.
Je me tourne, littéralement, me détourne et me retourne… transfiguration !

Ah! les paysages lumineux où l’on voit des plaines que l’on a peine à mesurer de l’oeil et où pourtant les moindres détails sont inscrits au dedans du dedans de nous-mêmes. Paysages qui suscitent en nous le chant intérieur.

Arrivé au sommet de la montagne, grimpe encore frater !

Photo : Les montagnes de Huangshan

Beatrice regardait en haut, et moi je regardais en elle

Hommage au Féminin Créateur

Quelle que ce soit la doctrine philosophique à laquelle on adhère, on constate, dés que l’on spécule sur l’origine et la cause, l’antériorité et la présence du Féminin.

Parfois, d’une façon soudaine, une Présence surgit à l’improviste. Les yeux sensibles ne distinguent aucune forme. Le regard intérieur ne découvre que l’espace privilégié qui contient un corps « invisible ».
Néanmoins son évidence éclate dans l’immobilité perçue comme l’apogée d’une infinité de mouvements. Oui ! c’est bien ELLE, la tourbillonnante, celle qui fait chanter les pierres et danser les atomes.

De l’incandescence de l’idée, une flamme jaillit jusqu’à la conscience.

La parole, ensevelie par le silence, ressurgit en chair verbale qui respire des arias tournoyants défaisant les voiles diaphanes qui entourent la flamme !

Ô jour, lève-toi, les atomes dansent !

Interdit, le poète voit apparaitre la plus étonnante des transfigurations que sa tentative poétique ait jamais accomplie : l’idéé s’est déliée en femme. Et il contemple dans cette femme archétypale « la Beauté éternelle qui est inspiratrice et objet de tout amour, et il la regarde, dans sa nature essentielle, comme étant par excellence le médium par lequel la Béauté incréée se révèle et exerce son activité créatrice. »* La chair s’est idéalisée et l’idée s’est revêtue de chair. L’âme a pris corps dans le poème. L’une est l’autre !

La femme est le Rayon de la Lumière divine.
Ce n’est point l’être que le désir des sens prend pour objet.
Elle est Créateur, faudrait-il dire.
Ce n’est pas une créature.**

Le titre du billet : Dante, chant 2, La Divine comédie
*Ibn el Arabi- Fösus in Imagination Créatrice dans le soufisme D’Ibn Arabî, Henri Corbin, Flammarion, page 143
**Jalâloddin Rûmî, Mathnaawi, livre 1
Peinture: Della Primavera di Sandro Botticelli,
Mille merci à Maurice Scève.

Éloge de la fragilité

La fragilité fait partie de notre essence, et l’on pourrait dire qu’elle est notre essence !

Nous devons préserver notre fragilité, comme nous devons préserver le subtil et l’inutile. Inutile dans le sens de gratuit, sans valeur marchande.
Dans un monde où nous n’existons que masqués, la solidité des masques dont nous revêtons nos « non visages » nous donnent la fausse impression que nous sommes incassables, invulnérables.

Nous imaginant hors de toute atteinte, nous nous lançons dans la compétition où règne une loi du plus fort que nous avons nous-mêmes décrétée. Les grimaces de dégoût ou de douleur transparaissent néanmoins dans l’amertume de nos regards troublés, mais nous les dérobons aux autres, dans un refus absurde de reconnaître la réalité de notre condition. Nous nous sommes nous-mêmes enfermés dans un jeux de rôles, et nous passons notre existence à jouer les forts et les tout puissants. Mais personne n’est dupe de soi. Chacun revêt son masque de parade tandis que des larmes de détresse jaillissent à l’intérieur. Mais il ne faut surtout pas faire acte de fragilité, pensons-nous, et pour cela il faut être le premier à blesser l’autre, et le cas échéant achever la bête humaine, ce visage ou plutôt ce masque menaçant qui nous fait face ! L’achever avant que notre faiblesse transparaisse et que la peur ne se lise dans notre propre regard !!! Derrière les masques se cache toujours la frayeur, raide et froide : la frayeur d’être démasqué.

Que de l’esbroufe, donc ! Comme au poker… Sauf que la vie n’est pas un jeu où ceux qui bluffent le mieux, qui font illusion plus longtemps, gagnent un peu plus de temps à vivre. La vie, c’est l’art de l’adaptation, et sa force vient de sa fragilité même. Aussi ne faut-il pas confondre fragilité et faiblesse. La vie (l’essence) est fragile parce que délicate, douce, subtile. Nulle résistance, nulle rigidité : elle est souple comme le vent, elle épouse toute forme. En Elle est la véritable Force.

Les rapports de force, la compétition, sont inhumains. La fragilité, la souplesse et la coopération sont le propre de l’existence humaine. Accepter sa fragilité, c’est accepter d’être soi-même en vérité, en essence.

Fragiles, sensibles, éphémères, nous le sommes tous autant que nous sommes, même si nous l’oublions, même si nous n’avons pas la force de l’admettre…

Bienheureux donc les dénudés, les doux gracieux et fragiles, qui s’émerveillent sans cesse de s’émerveiller encore. Pleins de grâce et de délicatesse, par leur seule présence la bonté subsiste (encore) dans ce monde de la force brute.

t.

Photo : Don Quichotte – Picasso

[MàJ] Note : Inclinaison reconnaissante au « vieux nourrisson* » qui m’a (presque) tout appris de la Vraie Vie :

Partout et toujours, c’est le mou qui use le dur. Le non-être pénètre même là où il n’y a pas de fissure. Je conclus de là l’efficacité du non-agir. En ce monde, rien de plus souple et de plus faible que l’eau; cependant aucun être quelque fort et puissant qu’il soit, ne résiste longtemps à son action. Les vagues de l’océan viennent à bout des falaises les plus dures; et pourtant, nul ne peut se passer d’eau.

De même, l’homme qui vient de naître est souple et faible. Quand il devient fort, solide, raide, la mort le gagne… Celui qui est fort et puissant est marqué par le mort, celui qui est faible et flexible est marqué par la vie. Est-il assez clair que la faiblesse vaut mieux que la force et que la souplesse prime la raideur?

Lao Tseu
Extrait – TAO TEI KING

* « Lao » et « Tseu » signifient respectivement « vieux » et « nourrisson ».

Entrez, c’est ouvert !

Fenêtre sur cour

En contemplant la fenêtre de « ma » cour intérieure, un bruissement d’abeilles s’est répandu dans l’enceinte entre deux immeubles enclochés. Le souffle a suspendu son envol à la vue de ce qui lui semblait être un frémissement d’ailes musicales à travers un son diaphane, cristallin. En prêtant l’oreille intérieure, le constat s’est fait que ce n’était pas tout à fait cela. Il s’agissait de quelque chose de plus silencieux que le silence, de plus léger que le souffle, quelque chose au-delà de la gamme des sons, au-delà de la portée de la lumière !

Quelque chose d’avant la Parole !

Ce dont on ne peut parler, il faut le taire, nous conseille l’ami Wittgenstein. Que reste-t-il, que nous reste-t-il pour communiquer, échanger, dire de ce dont on ne peut pas parler ? Il nous reste tout et rien, il nous reste l’Ouverture, la contemplation non plus de notre image, mais de l’Ouvert.

Comme dit Maximov, tout n’est que cendre et poussière, tout, sauf le temple à l’intérieur de nous. Il est à nous, avec nous dans les siècles des siècles.

Entrez, et constatez par vous mêmes ce dont on ne peut pas parler !

t.

Photo: Sacha QS.

Cantate à l’enfant

Etui de musicienne
Dans Cela Est Ce Qui Est Là !

L’enfant nouveau né interrogea : Qui suis-je ?
Une voix répondit : Tu es celui qui Est.
Où suis-je ? Une voix répondit : dans l’Univers.
Qu’est-ce que l’Univers, demanda l’enfant ?
L’Espace qui t’enveloppe, répondit la voix.
Où est le début de l’Univers ? Où est la fin de l’Univers ?
Où s’arrête l’Univers ?
L’espace n’a ni début, ni fin, répondit la voix.
Et qu’y a-t-il au-delà ? demanda l’enfant.
La voie répondit : ce qui est ici est dans l’au-delà et ce qui n’est pas ici n’est nulle part.

L’enfant contemple, et en contemplant il se perçoit à l’intérieur de l’espace et il réalise qu’il EST et qu’il sait où il est.

Il se dit donc : je suis là et je sais où je suis.
Et « je suis » est dans l’espace vide…
Et l’enfant réalise que l’espace est ce qui définit ce qu’il Est ! Et qu’il est Cela même et parce qu’il est l’espace il est tout ce qui est.
Et l’enfant se perçoit comme Celui qui Imagine et qui crée par Imagination !

Et l’enfant s’exclama :
Je Suis Est Celui qui Est : Le Vide conscient de Soi-même.
Ceci et Cela, Je Suis !

Photo de natacha quester-semeon