Face aux vents contraires : vers la sortie du labyrinthe 

Vivre, c’est prendre le chemin du vent. Or on ne prend le chemin du vent qu’en dansant, car c’est en dansant qu’on arrive à l’authenticité, qui est le sauf-conduit pour la vraie vie !

J’aimerais, pour commencer, partager avec vous une histoire racontée par les disciples du Rav hassidique Israël Ben Eliezer, le Baal-Shem-Tov*.

« Un matin, le Baal-Shem-Tov pria plus longtemps que de coutume. Fatigués, les disciples s’en allèrent. Plus tard, le maître leur dit avec mélancolie : « Imaginez un oiseau rare au sommet d’un arbre. Pour s’en emparer, les hommes formèrent une échelle vivante qui permit à l’un d’eux de grimper jusqu’en haut. Mais ceux d’en bas, ne pouvant voir l’oiseau, perdirent patience et rentrèrent chez eux. L’échelle se disloqua et là-haut, l’oiseau rare s’envola. »

Aujourd’hui, ceux qui cherchent réellement à se porter à la hauteur de l’oiseau, qui aspirent réellement à sa liberté et à sa faculté de voler vers la Vie, ne sont pas très nombreux. Mais ils sont déterminés, et ils sont aguerris. Nous savons qu’il n’est nul besoin de grands nombres pour construire une nouvelle cordée et escalader l’échelle. Un tel trésor n’est jamais facile ni immédiat à atteindre. C’est une course de fond dans laquelle nous sommes engagés. C’est pourquoi il nous faut manifester trois qualités majeures, trop souvent négligées : l’audace (pour entamer la quête), la confiance (que d’une manière ou d’une autre, nous pouvons atteindre le but), et la persévérance (pour ne pas abandonner en chemin).

Mais l’oiseau est bel et bien réapparu. Tous ne le voient pas, faute d’une vision suffisamment claire. Tous n’entendent pas son appel, faute d’une ouïe suffisamment sensible. Ceux-là prendront et feront passer ceux qui le voient et l’entendent pour des fous. Qu’importe !

Dans la période étrange et difficile que nous vivons, entre confinement, peurs multiples et distension des liens, dans cette incertitude que nous ressentons et qui nous éprouve, devant la perte de tant de repères, n’entendons-nous pas néanmoins l’appel ? L’appel au meilleur de nous-mêmes. À l’humanité qui nous relie. L’appel à laisser notre âme s’envoler dans les bras du vent, avec courage et confiance, vers ces contrées qui s’ouvrent devant nous et qui, aussi indéterminées soient-elles aujourd’hui, sont celles qui accueilleront notre futur, notre évolution et notre délivrance.

Pour que demain existe encore, il nous faut certes de l’humilité. Savoir ce que nous savons, et ce que nous ne savons pas. Et l’accepter.

Et ce que nous savons en premier lieu, c’est qu’il s’agit d’une aventure collective – planétaire !
Sachons donc nous rassembler davantage. Nous ne sortirons du labyrinthe inextricable et des crises en cascade dans lesquelles la pandémie de Covid nous a plongés que par la solidarité. Une solidarité réelle et pratique. Sociale. Humaine. Économique. Cette solidarité est selon moi le fil d’Ariane qui peut seul nous guider vers la sortie, et un nouveau départ.

Je suis consciente de ce que cela paraîtra dérisoire et donc inutile aux yeux de tous ceux qui ont fini par se désespérer d’avoir déjà tant espéré. De tous ceux qui se sont désenchantés d’eux-mêmes et du monde. De tous ceux qui préfèrent commenter le désastre, qui regardent et laissent faire, et qui, sidérés par l’effondrement de leur propre monde, n’attendent même plus la fin des temps. Mais « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ! »

Face au chaos, face à notre perte de repères, nous avons une occasion unique de plonger au-dedans de nous-mêmes. Ce chaos, regardons-le en face, face to face ! Considérons l’état des lieux sans états d’âme. Appelons les choses par leur nom. Sans nous complaire dans la contemplation du désastre. Sans chercher des boucs émissaires pour ce que nous vivons. Mettons-nous simplement en route pour chercher la sortie, et pour trouver des solutions, ensemble. Et acceptons aussi que les responsabilités sont partagées. Que notre monde est le reflet de ce que nous sommes, qu’il est fait à notre image, et surtout qu’en définitive, le plus grand obstacle est, fut et sera… nous-mêmes ! Nous sommes et le problème, et la solution ! L’espoir est là !

EN ROUTE !

Bien sûr, nous ne serons pas nombreux pour commencer. L’expérience nous apprend qu’il en va souvent ainsi avec les hommes : hésitations, renoncement face à trop d’incertitudes et d’inconnues, défaitisme, « bonnes raisons » de l’abandon par mille justifications qui n’ont d’autre but que de cacher une incapacité à supporter les épreuves en cours. Mais il suffira qu’un tout petit nombre persévère, jusqu’au bout, pour que nous trouvions le chemin qui nous conduira hors du labyrinthe, pour entamer une ère nouvelle. Tâchons d’être de ce petit nombre !

Nous n’avons besoin de rien d’autre que de confiance. Confiance en le meilleur de nous-mêmes. Confiance en notre humanité et notre intelligence.
Alors nous rejoindrons l’oiseau sur la plus haute branche. Et nous nous envolerons. Ensemble, tous ensemble ! Vers une humanité plus belle, plus bienveillante, plus vraie !

 

*Israël Ben Eliezer, le Baal-Shem-Tov (Maître du Saint Nom).

Photo de Sigurdur William Brynjarsson.

 

Saurais-je me souvenir ?

Saurais-je me souvenir ?

Soudain, de ce silence. Ce sublime silence !
Plénitude du vide. Vibration musicale de la lumière. Frémissement dans le vent du feuillage des platanes.
Et puis, et puis… le retour des oiseaux et leur danse dans l’air irisé.

Avec la Seine là-bas, derrière, embrassant amoureusement Saint Louis. L’Île !
Boulevard paisible, comme en contemplation devant le panthéon serein, tel un vaisseau enveloppé de brume…

Mon jardin suspendu, dans l’immobilité du temps, comme une prairie remplie de fleurs des champs, me rappelle à chaque instant que la beauté (bonté) sauve le monde.
Ses oliviers me transportent en Provence. Ça y est, j’y suis ! J’en suis ! Parfum de lavande fleurie. Merveille.

Et puis ce goéland, qui m’apporte des nouvelles de la mer et de ses falaises.
Trois mois de voyage immobile, avec ces merveilleux nuages… qui passent…

Déconfinement ?
Tout le monde ou presque semble se laisser aller à faire n’importe quoi. Comme avant ?
Pas encore le cœur à la balade. Pas même au « Luco ».
Ce qui fut n’est plus. Ce qui sera n’est pas encore.
Oui, je suis prête pour l’inconnu, pour les batailles qui s’annoncent ! Mais j’y vais doucement !
Festina lente !

Fin’amor , gratitude infinie, à mes inoubliables compagnons de bord : @natachaqs, @sachaqs, @parizot, @jardinhugo, à jamais !

C’était il y a trois mois ! Une éternité. Lorsque le ciel nous est tombé sur la tête…

C’était il y a trois mois ! Une éternité. Lorsque le ciel nous est tombé sur la tête…

« L’espérance est un risque à courir. C’est même le risque des risques. L’espérance n’est pas une complaisance envers soi-même. C’est la plus grande et difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme. »
— Georges Bernanos.

Lundi verra l’amorce du déconfinement de toutes les incertitudes.

Les conditions sont-elles réunies, les forces vives sont-elles disponibles pour aller vers ce qui nous unit, pour chercher une sortie à cette immense détresse dont nous sommes encore loin de voir la fin ? Un autre monde est-il possible, et si oui, comment y arriver ?

Il nous faudra une réelle humilité, celle qui consiste à appeler les choses et la situation par leur nom. Un grand effort personnel et collectif seront nécessaires dans tous les domaines, un travail intellectuel ouvert à tous les vents, une immense créativité, pour imaginer et actualiser un monde autrement.

Il nous faudra surmonter notre arrogance, notre suffisance, notre orgueil démiurgique, et avoir le courage, l’audace de dire : « JE NE SAIS PAS, mais ensemble, tous ensemble nous saurons ! »

À partir de lundi, nous rentrons dans une zone d’épais brouillard, où le chemin se dévoilera à mesure que nous marcherons. Nous devrons faire face à un inconnu changeant, qui exigera de nous une capacité d’adaptation immédiate. Ferons-nous face à un déconfinement progressif, évolutif, à des confinements à répétition, ou aux deux à la fois ?

Venant de partout à la fois et agissant tous en même temps, les contestataires allumeront-ils des foyers et des contrefeux simultanés et contradictoires, avec le non dialogue comme étendard ? Ou bien, face aux délabrements en chaîne (économique, social, psychologique…), la solidarité et l’union seront-elles les guides qui nous feront avancer et sortir de l’épais brouillard, vers la lumière ?

La réponse à ces questions dépendra en premier lieu de la prise en considération de tous. Vraiment tous. D’une écoute respectueuse de tous, par tous. De la coopération nationale et internationale, non seulement pour la survie des corps et des biens, mais pour que vive l’esprit des lumières et l’âme qui l’éclaire. Pour qu’ENFIN l’humanité soit en tous, et pour tous !

 

Illustration : Ernst Fuchs

Communauté humaine, communauté de destin

Communauté humaine, communauté de destin / humanité comme projet 2

« Il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse. » Ainsi parlait Zarathoustra

Je fais le pari qu’un nouveau monde surgira de ce chaos absurde dans lequel nous sommes plongés, mais sans imaginer pour autant que ce soit pour bientôt. Le confinement actuel nous montre et nous démontre que les vieux réflexes du « monde d’avant » sont bel et bien vivaces, ancrés au plus profond. Remettre en cause nos dogmes, nos certitudes, notre égoïsme, notre indépendance, n’ira pas de soi : il nous faudra infiniment de pédagogie, de patience et de persévérance pour faire percevoir et comprendre à chacun l’ampleur dramatique et la gravité des conséquences que nous subirons TOUS si nous n’acceptons pas de recentrer nos priorités pour prendre en compte le bien commun et l’intérêt général – au nom même de l’individualisme que nous croyons défendre en les négligeant ! Quand le bateau coule brutalement, on est obligé d’accepter qu’on ne s’en sortira pas… tout seul !

L’équipage doit être guidé par un esprit de coopération, de solidarité sans faille, au nom de l’intérêt général : le bien de tous, mon bien, ton bien, notre bien !

Communauté humaine, communauté de destin.

Sommes-nous prêts à envisager cet avenir, à nous unir pour ressembler nos forces, notre créativité, notre amour, pour donner naissance à ce nouveau monde, étoile humaine sortie du chaos ? OUI ET NON !

Le bien commun est menacé et les conséquences en sont déjà dramatiques. Même si nous parvenons à nous en sortir à moyen terme, si nous ne renouvelons pas nos solidarités dans tous les domaines, si nous ne nous changeons pas nous-mêmes, nous ne nous relèverons pas de la prochaine crise. Qui viendra.

Nous ne sommes donc pas encore en guerre, mais en état d’urgence. Dans ces conditions, nous n’avons pas le temps de former de nouveaux marins : nous ne pouvons compter que sur les marins déjà aguerris, et sur ceux qui ont le désir de la mer. Forcément, nous ne serons qu’un petit nombre. Forcément…

Alors, il nous faut les chercher, et nous ressembler pour agir tout de suite au nom du sauvetage de notre navire et de notre humanité !

Notre entreprise-citoyenne sera composée de tous ceux qui on déjà compris que notre bien commun est menacé : crises sanitaires, écologiques, climatiques, économiques, sociales, financières, migratoires, démocratiques…

Voilà notre présent.

Nous voilà brutalement, URGEMMENT, invités à réfléchir et à agir, ici et maintenant. Le monde d’après dépend de notre faculté d’adaptation, de nos actions immédiates, de notre esprit de coopération, de nos solidarités.

DE TOUS CEUX QUI ONT COMPRIS ET SE SONT DÉJÀ MIS EN ROUTE, DÉPEND « LE MONDE D’APRÈS » !

ON Y VA ?

L’humanité comme projet

« Voici je te place devant la vie et la mort, et tu choisiras la vie. »*

L’HUMANITÉ COMME PROJET
(Esquisse d’une proposition sans autre prétention que de participer à une réflexion pour l’après.)

En nous débarrassant des nos egos surdimensionnés, nous devenons capables de puiser dans la miraculeuse source d’énergie de Vie que nous avons tous en nous, et de faire que l’impossible devienne le Possible.

La conception purement individualiste, hédoniste et utilitariste de l’existence nous a mené là où nous sommes aujourd’hui. L’erreur serait de penser qu’à l’issue du confinement, nous reviendrons au statu quo ante. Comme s’il s’agissait d’une parenthèse à oublier aussi vite que possible.

Nous sommes face à un défi existentiel, une crise civilisationnelle et, pour le moment, un avenir sans avenir ! Des forces sidérantes, imprévisible et incontrôlables ont réussi à balayer la certitude que nous avions de détenir le pouvoir absolu sur la Terre et la Nature. Le coronavirus nous rappelle que nous sommes de simples mortels éphémères, et que notre immortalité se trouve dans notre humanité, où « humanité » signifie : communauté de destin, et ne se limite pas au genre humain, mais englobe tout le vivant sans exception, y compris notre sublime Terre. Et que si nous voulons nous en sortir, il nous faudra faire preuve d’humanité, ici et maintenant.

Dans cette perspective d’un devenir possible pour l’homme post-coronavirus, l’humanisme consiste en la proposition d’œuvrer pour que l’humanité – présente en puissance mais sans certitude chez homo-sapiens – advienne bel et bien. Et pour cela, à faire appel à l’universalité potentielle d’humanité dans chaque individu.

L’humanisme est donc un projet et, par là-même, une éthique désignant comme bien, beau et bon, ce qui forge l’idéal de la communauté et de la dignité humaine. L’éthique humaniste n’implique pas une attitude complaisante ou infantilisante envers l’homme, ni un anthropocentrisme arrogant et méprisant, mais plutôt la mise en œuvre des conditions nécessaires à l’humanisation – conditions éducatives, appuyées sur une connaissance sans complaisance des caractéristiques de l’homo-sapiens (capable aussi bien du meilleur que du pire), permettant de comprendre ce qui peut faire advenir une l’humanité, opposable à la barbarie sans cesse renaissante.

Nous avons préféré l’économie à l’humain, l’individualisme face au collectif, la compétition à la coopération.
Nous avons à présent le devoir, ou plutôt l’obligation de faire un choix. Poursuivrons-nous dans la voie glaciale et aride de la compétition, ou nous engagerons-nous dans celle de la coopération ? Allons-nous continuer de choisir l’avoir au détriment de l’être ? Donnerons-nous la priorité aux possessions et au paraître comme manière d’être au monde, ou choisirons-nous l’authenticité et le partage pour le bien de tous ?

Je pense que si, une fois la frayeur passée, comme il en va souvent avec notre espèce, nous choisissons de faire comme si de rien n’était, dans la quasi totale indifférence les uns aux autres, nous sommes voués à aller de crise en crise, de désespoir en désespérance, jusqu’à la guerre de tous contre tous.

Mais nous pouvons aussi choisir, dans le but de comprendre, de nous raconter notre propre histoire. Une histoire sans méchants ni gentils, sans héros ni victimes désignées. Sans boucs émissaires.  Nous pouvons faire ce choix, si nous aspirons vraiment à comprendre comment nous en sommes arrivés là.

Car en réalité, nous ne savons plus comment nous en sortir !

Mais si « vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes », c’est aussi tout simplement choisir la Vie ! Pour une fois, véritablement, en toute conscience, choisir… l’Humanité comme projet.

Il est beau que, dans la langue française, « humanité » désigne à la fois l’espèce elle-même et le sentiment qu’elle doit inspirer à chacun envers tous les autres. « L’humanité n’est pas qu’un groupe à l’intérieur de l’animalité : c’est un dessein, un projet, un programme ! ».

Et si l’an Un Après-Coronavirus était celle où nous allions faire advenir, ensemble, tous ensemble, par l’union de toutes nos forces vives, un nouveau paradigme, juste et humain ?

J’aime à penser que quoi qu’il advienne, nous nous en sortirons. Mais c’est à la condition que nous acceptions que nous ne savons rien de la manière d’y arriver, et que nous avons tous fondamentalement besoin des autres pour vivre. Que nous nous rappelions qu’au-delà de déclarations occasionnelles sans conséquences réelles, nous n’avions nullement anticipé l’effondrement, et que nous avions « oublié » notre interconnexion à tous. Alors, est-il possible que pour une fois, avec humilité et bienveillance, nous soyons véritablement à l’écoute les uns des autres, manifestant un respect authentique les uns pour les autres, dans la recherche du bien de tous ?
Dans la grâce de l’« après vous », si cher à Levinas ?

Pour moi, la réponse est oui.

On y va ?

*Deutéronome, chapitre 19