Hommage au saisissement
L’événement supérieur est l’événement poétique, car la parole poétique, n’appartenant pas à la pensée mais à l’Être, est le lieu où les deux océans se rencontrent, où la pensée s’unifie. Le poète est celui qui non seulement sait parler aux arbres, aux étoiles et aux ruisseaux, mais qui s’est trouvé en se perdant, s’est saisi en s’abandonnant à l’inconnaissable ! Un ami a dit qu’il s’agissait de rentrer, de passer par l’intérieur et en passant par l’intérieur se retrouver au dehors. De quel « dehors » parle-t-il, puisque toute Vie est intérieure ?
S’agirait-il de cette perception supra-sensible où la conscience de soi assimilée se perçoit se reflétant, et non plus comme objet extérieur à soi ? S’agirait-il de cette Contemplation de son propre état intérieur, de son âme, si chère à Rilke, où l’être est à la fois celui qui perçoit et cela qui est perçu, non plus savoir, connaissance, idée, mais à la fois regardant et regardé, regard ? S’agirait-il de cette perception harmonique où la Rose n’est perçue seulement comme une idée, puisqu’elle me regarde la regardant et que son regard et mon regard ne font plus qu’un ?
En d’autres termes, puisque la rose qui est dans la rose et cela qui regarde la rose ne font plus qu’un, il s’établirait là la perception harmonique des rapports musicaux, où, comme dit Corbin, la perception progressant d’une octave à l’octave supérieure se révélerait comme une seule et même perception, une seule et même mélodie, mais qualitativement différente et pluridimensionnelle. La Rose m’a dit : c’est Cela même et :
Seule la perception musicale est en mesure de réaliser cette communion ! Seule la Parole poétique peut suggérer cet état de corporéité spirituelle, et c’est cela La Poésie ! Lieu où l’esprit et le corps ne font qu’un.
Et puis, la Rose m’a dit aussi…
c’est magnifique c’est puissant c’est profond
je suis en totale accord avec tout ça
je cueille la nuit
des brassées de papillons
s’élèvent de mon coeur embué
en nuée de nuit je m’évase
nature
La Rosa
Yo vi la rosa:clausura
Primera de la armonia,
Tranquilamente futura.
Su perfeccion sin porfia
Serenaba al ruisenor
Cruel en el esplendor
Espiral del gorgorito.
Y al aire cino el espacio
Con plenitud de palacio,
Y fue ya impossible el grito.
La Rose
J’ai vu la rose: clôture
Première de l’harmonie
Si tranquillement future,
Parfaite, sans nulle envie,
Apaisant le rossignol
Trop cruel en son envol
De trilles et de spirales.
Puis tout l’air fut circonscrit
D’une majesté murale.
Impossible enfin le cri!
Jorge Guillén à Juan Ramon Jimenez
Mathieu
Rose des cathédrales où rose des jardins, des buissons… quelle poésie et quel message pour le coeur !!!
Si (como el griego afirma en el Cratilo)
El nombre es arquetipo de la cosa
En las letras de ROSA está la rosa
Y todo el Nilo en la palabra NILO.
Jorge Luis BORGES (El Golem)
Si (comme le Grec l’affirme dans le Cratyle)
Le mot est l’archétype de la chose:
Dans les lettres de ROSE est la fleur rose,
Et le Nil tout entier coule aux lettres du mot NIL.
(trad jjd)
Borges aimait confondre les figures littéraires avec son propre moi. Quelqu’un sait-il ce qu’il pensa du redoutable bibliothécaire aveugle, Jorge de Burgos, clin d’oeil d’Umberto Eco dans son célèbre roman, »le Nom de la Rose »?